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Géorgie : Mikheïl Saakachvili, président de la République
http://www.colisee.org/article.php?id_article=1362TEXTE INITIAL DU 28 JUILLET 2004 lundi 22 octobre 2012, par Mirian Méloua Le parcours personnel de Mikheïl Saakachvili, surnommé Misha par ses concitoyens et dont le prénom est parfois transcrit en français par Mikhaïl, est singulier pour un Géorgien né dans les années soixante : ses études universitaires à l'étranger et sa proximité avec la culture américaine restent des exceptions. Son mouvement politique aurait bénéficié du soutien du milliardaire George Soros. Pour prendre le pouvoir, il n'a pas échappé à la règle "de tuer le père" qui l'avait mis en selle, Edouard Chevardnadzé. Le bilan des deux mandats présidentiels de Mikheil Saakachvili est contrasté, négatif vis-à-vis des oppositions politiques, du recul de la pauvreté et de la guerre d'août 2008, positif en termes de lutte contre la corruption, de libéralisation de l'économie et d'ouverture à la communauté internationale. Il tente de donner à la Géorgie l'image d'un petit pays à la culture très ancienne mais ouvert à la modernité du XXIème siècle, et de se donner l'image du plus jeune chef d'Etat du monde entouré de ministres trentenaires entreprenants.
Les études, la vie professionnelleMikheïl Saakachvili est né le 21 décembre 1967 à Tbilissi. Après ses études secondaires en Géorgie, il est diplômé de l'Institut de Relations Internationales à la Faculté de droit de Kiev en 1984. Il obtient ensuite un Master de droit à l'Université Columbia de New-York. En 1993, il est diplômé de l'Institut des Droits de l'Homme de Strasbourg, dans une promotion de 8 élèves. En 1995-1996, il suit la formation "Post Graduate" de l'Université de droit de Washington. Il rejoint tour à tour l'Institut des Droits de l'Homme de Norvège, le Comité de Protection des Droits de l'Homme de Géorgie et le cabinet d'avocats Paterson à New-York. En 1997, il est nommé "homme de l'année" par les médias géorgiens.
Le début de la carrière politiqueEn août 1998, à la demande d'Edouard Chevardnadzé, il prend la direction de "l'Union des Citoyens", rassemblement politique de la majorité présidentielle. En octobre 1999, il est élu député. En octobre 2000, il est nommé ministre de la Justice par Edouard Chevardnadzé. Les désaccords s'accumulent, il quitte le gouvernement rapidement. En juin 2002, il est élu président de l'assemblée municipale de Tbilissi, suite à un accord entre son parti (Mouvement National) et un parti d'opposition de gauche (Parti Travailliste, Chalva Natélachvili).
Le premier mandat présidentielLes élections parlementaires du 2 novembre 2003 déclenchent des mouvements de contestation. Le départ anticipé du président Edouard Chevardnadzé s'effectue pacifiquement. Nino Bourdjanadzé (Démocrates), présidente du Parlement, est nommée présidente de la République par intérim. Zourab Jvania (Démocrates) est nommé Premier ministre. Mikheïl Saakachvili s'allie avec Nino Bourdjanadzé et Zourab Jvania, et est élu président de la République le 4 janvier 2004. Il est investi le 25 janvier en présence de Colin Powell. Premier mandat : objectifs recherchés Mikheil Saakachvili les résume ainsi
Premier mandat : politique intérieure Les quatre années d'exercice de la présidence Saakachvili reflètent une orientation "nationaliste", conforme aux idées avancées en novembre 2003 et auparavant. L'abandon du drapeau de la Ière République de Géorgie (1918- 1921), restauré sous la présidence Gamsakhourdia en 1991 et maintenu sous la présidence Chevardnadzé, au profit d'un drapeau à référence "médiévale" avec croix chrétienne, flatte incontestablement une opinion publique rêvant à la grandeur passée. Le retour de la province d'Adjarie dans le giron de la République de Géorgie, et l'évacuation des bases militaires russes d'Akhalkalaki et de Batoumi sont des succès incontestables. Restent que les solutions à la sécession de fait de l'Ossétie du Sud (1) et à celle de l'Abkhazie (2) n'ont pas progressé devant la volonté de la Russie de maintenir le statu quo. La lutte contre la corruption (saluée par les organismes internationaux), les réformes de la police et de l'armée (rendue professionnelle avec l'appui des Américains) sont apparues comme des urgences de premier ordre. Les privatisations et les investissements étrangers ont fait progresser les indicateurs macro-économiques de la Géorgie. L'approvisionnement en gaz et en pétrole a été diversifié : la Russie n'est plus qu'un fournisseur parmi d'autres. Les rénovations urbaines, aéroportuaires ou des transports en commun sont engagées et souvent abouties. Reste que l'inflation s'est développée et a en grande partie neutralisé la croissance économique, processus durement ressenti par la population. Premier mandat : politique étrangère De janvier à juillet 2004, Mikheïl Saakachvili a rendu vingt et une visites officielles. Il a été reçu par le Conseil de l'Europe, l'Allemagne, la Russie, l'Azerbaïdjan, les Etats-Unis, les Nations-Unies, la France, l'Unesco, l'Arménie, la Slovaquie, l'Otan (Bruxelles), l'Union Européenne, l'Ukraine, la Pologne, la Roumanie, la Turquie, la CEI, l'Otan (Istanbul), l'Iran, la Grande- Bretagne et Israël. L'impulsion donnée a été résolument proaméricaine. L'envoi d'un troisième contingent géorgien en Irak (le premier avait été envoyé par Edouard Chevardnadzé) en est une illustration tactique. Les constructions, achevées, de l'oléoduc Bakou - Tbilissi - Ceyhan et du gazoduc Bakou - Tbilissi - Erzeroum en sont une illustration plus stratégique. Durant quatre années, le rythme effréné de déplacements internationaux s'est maintenu, sans toutefois parvenir à faire admettre l'adhésion pleine et entière de la Géorgie à l'OTAN devant l'opposition farouche de la Russie.
Le second mandat présidentielEn novembre 2007, quatre années après la Révolution des Roses, Mikheïl Saakachvili doit faire face à des manifestations de masse initiées par une dizaine de partis d'opposition, trois de ses anciens ministres et un milliardaire géorgien. D'une demande d'élections législatives anticipées, elles dérivent vers une demande de démission du président motivée par la difficile situation économique de la majorité de la population. Les manifestants sont dispersés par la force, l'état d'urgence est proclamé pour neuf jours, la chaîne de télévision d'opposition Imedi est fermée pour un mois, le Premier ministre est changé avec une nouvelle priorité "sociale", les élections présidentielles sont anticipées au 5 janvier 2008. Les résultats sont à la mesure de ces déconvenues, Mikheïl Saakachvili, qui avait été élu en 2004 avec 95% des voix, est réélu en 2008 avec 53% des voix. L'opposition conteste la sincérité des comptages et demande un 2ème tour de scrutin contre l'avis des observateurs internationaux ; elle manifeste le jour même de l'investiture du président réélu, le 20 janvier, réunissant près de 50 000 personnes à l'hippodrome de Tbilissi. Le risque que l'instabilité politique conduise à l'échec de la transition en Géorgie, pays encore mal en point sur le plan économique et sur le plan social, est réel. Les Etats-Unis et l'Union européenne ne le souhaitent pas pour des raisons géopolitiques, ce qui explique qu'ils aient fermé les yeux sur les irrégularités du premier tour des élections présidentielles. Vladimir Poutine ne se rend pas à l'invitation de Mikheïl Saakachvili pour son investiture, il délègue Sergueï Lavrov : le ministre russe des Affaires étrangères attend visiblement des paroles d'apaisement concernant les relations bilatérales russo - géorgiennes, il les entend. Les Etats-Unis et l'Union européenne n'y sont certainement pas étrangers. Second mandat : politique intérieure Les élections législatives de mai 2008 lui donnent une majorité confortable, mais la plupart des rares députés de l'opposition élus refusent de siéger au Parlement pour élections « déloyales ». S'il parvient à moderniser le pays (institution, indépendance énergétique, infrastructure, hôtellerie, …), à présenter des comptes nationaux plus conformes aux exigences internationales, il ne parvient pas à améliorer suffisamment les critères sociaux (15% de la population sous le seuil de pauvreté, 15% de la population au chômage, couverture santé balbutiante, 300 000 personnes déplacées suite aux conflits, …). Les conséquences de sa politique conduisent à un pays à deux vitesses, les classes privilégiées à forte connotation technologique (à Tbilissi et dans quelques grqndes villes comme Batoumi et Koutaïssi), les classes populaires luttant pour une survie difficile. Son autorité est contestée. En préparation aux élections législatives du 1er octobre 2012, il doit affronter une coalition de partis politiques d'opposition, « Le Rêve géorgien », dirigée par le milliardaire Bidzina Ivanichvili. On lui attribue des pressions sur les médias (TV privées), sur les personnalités d'opposition (perte de la nationalité géorgienne suite à double nationalité, amendes pour financement illégal de parti politique) et sur leurs entreprises. Ce deuxième mandat est marqué, comme le premier, par des manifestations populaires d'opposition importantes (avril 2009 et mai 2011 notamment). Il confie la reprise en main, à un homme de confiance, Vano Merabichvili, son ministre de l'Intérieur durant 8 années et finalement nommé Premier ministre en juin 2012. Second mandat : politique étrangère Le déclenchement de la guerre russo-géorgienne d'août 2008 lui est communément attribué, sans que l'on sache vraiment s'il est tombé dans un piège tendu par Vladimir Poutine (ce que semble confirmé les propos de ce dernier d'août 2012) ou s'il a imprudemment pris cette décision (ce que lui reproche ses opposants nationaux, y compris certains de ses anciens Premiers ministres ou ministres, et sa partenaire de la Révolution des Roses, Nino Bourdjanadzé ex-présidente du Parlement). La déclaration d'indépendance de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud, et leur rattachement de facto à la Fédération de Russie, sont des échecs cuisants pour Mikheil Saakachvili. En substitution à une reconquête de ces deux provinces sécessionnistes, Mikheil Saakachvili développe le concept géopolitique de Fédération du Caucase, incluant les nations du Caucase du Nord (aujourd'hui intégrées à la Fédération de Russie) et celles du Caucase du Sud (aujourd'hui indépendantes de droit ou de fait). Ses relations avec les dirigeants de l'Union européenne, dans le cadre du Partenariat oriental, sont tout à la fois stratégiques pour la Géorgie et ambiguës. Si le drapeau de l'Europe trône à côté du drapeau géorgien en Géorgie, Mikheil Saakachvili n'est pas parvenu à accélérer les négociations sur les modalités techniques du futur accord de libre-échange économique entre l'UE et la Géorgie ("Deep and Comprehensive Free Trade Agreement"). Second mandat : l'opposition triomphe aux élections législatives Il orchestre des pré-campagne et campagne particulièrement "dures" pour les élections législatives du 1er octobre 2012, face à une coalition de 6 partis d'opposition, soutenue par 3 autres partis et des personnalités de tous bords (quelques-uns de ses anciens partisans, quelques anciens partisans du président Chévarnadzé, sportifs géorgiens de renommée mondiale, ancienne championne du monde d'échecs, ...). Mikheil Saakachvili reconnaît, dès le 2 octobre 2012, dans une allocution télévisée, la défaite de son parti (le Mouvement national uni, MNU) aux élections législatives du 1er octobre : il ouvre ainsi la voie à une alternance gouvernementale et à une cohabitation entre un Président de la République et un Premier ministre de sensibilités politiques différentes. Le 9 octobre, il rencontre son adversaire, Bidzina Ivanishvili. Le 10 octobre, il accepte la démission du gouvernement de Vano Mérabichvili, qui devient Secrétaire général du MNU. Le 16 octobre, il rétablit la nationalité géorgienne de Bidzina Ivanishvili et nomme quatre gouverneurs de province -dont deux anciens ministres- en Kakhétie, Iméréthie, Mingrélie / Haute Svanétie et Ratcha / Letchkhoumie / Basse Svanétie). Le 17 octobre, il propose ce dernier au poste de Premier ministre. . Mikheil Saakachvili entend ainsi affirmer qu'il ne renoncera -jusqu'à la fin de fin de son deuxième et dernier mandat en 2013- à aucune des prérogatives données au Président de la République par la Constitution géorgienne, qu'il respectera les résultats des élections législatives et les prérogatives de l'ancienne opposition devenue majoritaire à la satisfaction des puissances occidentales (Etats-Unis, OTAN, Union européenne). Le 22 octobre, à Koutaïssi, dans son message au nouveau Parlement (85 députés en faveur du gouvernement, 65 députés en faveur de la présidence de la République), il dresse un bilan flatteur de son action à la tête du pays durant 8 années et relève certains points de convergence, en particulier l'objectif d'une intégration euro-atlantique de la Géorgie. Second mandat : cohabitation avec l'opposition au gouvernement Il lui reste à achever ce deuxiéme et dernier mandat en 2013 selon la Constitution géorgienne, avec un gouvernement qui ne lui est pas favorable. Les prérogatives du Président de la République de Géorgie sont fortes, veto possible sur la nomination des ministres de "force" (Intérieur, Défense nationale), nomination des gouverneurs ("préfets de régions"), orientation de la politique étrangère, accord prélalable pour la nomination des ambassadeurs, ... Les risques de tension politiques sont réels. L'effet modérateur des puissances occidentales sera déterminant.
L'hommeMikheïl Saakachvili est marié avec la néerlandaise Sandra E. Roelofs, rencontrée en 1993 lors de leurs études à Strasbourg. Ils ont deux enfants. Les qualités d'homme d'Etat de Mikheïl Saakachvili sont indéniables, la tendance à un certain autoritarisme également. La connaissance des langues géorgienne, russe, anglaise et française qu'il possède, et à laquelle s'ajouterait celle de la langue ossète et de la langue abkhaze (révélée lors du discours à la nation le 26 mai 2004) en font un redoutable négociateur. Sa volonté de relever les défis, la vitesse de ses analyses et de ses décisions, son sens inné de la communication ont séduit les médias internationaux. Il a su s'entourer durant _ années aux postes de Premier ministre, de ministre ou d'ambassadeur, non seulement de trentenaires formés dans les universités occidentales, mais aussi de personnalités d'expérience chevronnées. Lorsque le vivier national était insuffisant, il n'a pas hésité à faire appel à des personnalités d'origine géorgienne, mais vivant à l'étranger (Premier ministre formé en Grande-Bretagne, ministre des Affaires étrangères formée en France, ministre des Affaires étrangères formé en Russie, ministre d'Etat aux question Euro-atlantiques formé en France, ministre de la Défense formé en Israël, ministre de l'Economie formé en Russie, différents ministres formés aux Etats-Unis, ambassadrice de Géorgie en Allemagne de nationalité allemande, …). Dans son bras de fer avec Vladimir Poutine, concernant en particulier la candidature de la Géorgie à l'OTAN, l'appui personnel de George W. Bush (et de Colin Powell) lui a été acquis, ainsi que celui de Tony Blair. Une certaine distanciation est apparue entre lui et Barak Obama, et parfois avec David Camerone. Gerhard Schröder et Angela Merkel l'ont soutenu, mais les intérêts allemands en Russie et en Géorgie se dimensionnent très différemment. Il en a été de même pour Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy (rencontré plusieurs fois à titre privé). Ses relations avec François Hollande sont récentes. Sa proximité personnelle avec certains dirigeants de l'Europe de l'Est (Ukraine, Pologne, Estonie, Lituanie, Lettonie, Moldavie) ou ceux des pays turcophones (Asie centrale, Azerbaïdjan, Turquie) obéit à une stratégie d'internationalisation du rôle de la Géorgie dans cette partie du monde. Selon ses propres propos "La Géorgie n'est qu'un petit pays, mais qui prend une grande place dans le Sud Caucase". Sa cohabitation avec un gouvernement qui ne lui est pas favorable est une autre histoire : elle commence, elle durera un peu plus de 12 mois et pourrait être explosive sauf s'il souhaite réussir sa sortie.
Sources multiples
Voir aussi
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