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Géorgie : les pressions russes s'accentuent sur tous les fronts (avril 2006)
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vendredi 21 avril 2006, par Mirian Méloua

Exportation d'énergie, importation de produits alimentaires, visa d'entrée, transfert de fonds, bases militaires et "forces de paix", négociations en Abkhazie et en Ossétie du Sud, les pressions de Moscou sur Tbilissi ne semblent épargner aucun domaine des relations russo-géorgiennes. Certains observateurs attribuent cette attitude aux réflexes hérités du "bon vieux temps", d'autres y voient un moyen de retarder la présence des forces de l'OTAN aux portes de la Russie.

Après les difficultés d'approvisionnement en gaz et en électricité de l'hiver 2005-2006, après l'augmentation unilatérale des tarifs, la participation financière de Gazprom au gazoduc Iran - Arménie supprimerait l'une des alternatives potentielles à l'hégémonie russe dans la région (1).

Après des décennies d'importation, le vin géorgien est mis à l'index par le ministère russe de la Santé (2). L'eau Lminérale de Borjomi est destinée à subir le même sort. les volailles et les agrumes l'ont déjà subi. La Douma russe entérine (3).

Après le rétablissement des visas d'entrée en Russie pour les travailleurs immigrés géorgiens, à la différence des autres nationalités de la CEI (4), la menace de limiter l'envoi des gains salariaux vers la Géorgie plane : ils représentent chaque année quelques centaines de millions de dollars. L'économie géorgienne ne pourrait s'en passer (5).

Après les accords de principe d'évacuation des bases militaires russes en Géorgie, trois années seront concrètement nécessaires aux opérations (6).

D'ici là l'armée géorgienne poursuivra son entraînement aux côtés d'instructeurs américains et restera présente au Kosovo, en Afghanistan et en Irak. Elle serait forte de 30 000 hommes et quitterait son statut d'associée à l'OTAN (IPAP) pour prendre un statut de membre à part entière (MAP) (7).

Ceci explique peut-être cela.

Au-delà des rêves impériaux du passé, la perspective de voir les forces de l'OTAN aux portes de la Russie motive indubitablement les pressions exercées par Moscou sur Tbilissi. Elle motive aussi la distribution de passeports russes aux populations abkhazes et ossètes du Sud afin qu'au titre de la sécurité de ses citoyens civils, les "forces de paix russes" ne puissent évacuer ni l'Abkhazie (et la base logistique russe de Gadaouta), ni l'Ossétie du Sud.

Dans le cas contraire, la Russie perdrait au profit de l'OTAN ses derniers passages entre Caucase Nord et Caucase Sud, l'accès par la Mer Noire et l'accès par la montagne (tunnel de Roki), conquis difficilement il y a 150 ans.

Les pressions exercées par la Russie sur la Géorgie ne peuvent que s'accentuer (8). A ce jeu, quels risques prend Moscou sur la scène internationale ?

Les opinions publiques pourraient la désigner du doigt : elle n'en a cure. Les protestations internationales n'ont rien changé au traitement russe de la Tchétchénie.

Les instances internationales pourraient voir se lever un front du refus vis-à-vis de la Russie ; l'OSCE a déjà bien du mal à jouer sa partition avec Moscou, l'OMC ne retardera l'adhésion russe que temporairement (9).

Aux Géorgiens de prouver qu'ils peuvent résister aux pressions politiques, militaires, économiques et énergétiques, et qu'ils peuvent survivrent ! Edouard Chévardnadzé, en connaisseur, avait abouti à la conclusion que seul l'appui des Etats-Unis (et de l'OTAN) pouvait protéger la Géorgie. Mikheil Saakachvili a complété cette stratégie par celle des "arcs d'amitié" dessinés autour du grand frère russe, l'un vers l'Ouest (pays baltes, Pologne, Ukraine et Caucase Sud), l'autre vers l'Est (Caucase Sud, pays d'Asie centrale et Chine) (10).

Aux Russes de comprendre qu'après leurs échecs dans l'espace post-soviétique, ils pourraient y regagner influence avec des arguments relevant du XXIème siècle. Les jeunes Caucasiens du Sud ne parlent plus la langue russe, ils parlent la langue anglaise. Le chantage au gaz ne les fera pas changer d'avis.

Mirian Méloua.

Notes

(1) D'une année sur l'autre, le russe Gazprom a doublé ses tarifs en Géorgie (110 dollars les 1000 m3). Après le financement de la 5éme tranche de la centrale thermique de Razdan et après le contôle de la centrale nucléaire de Metzamor (toutes deux situées sur le territoire arménien), la prise de contrôle de la portion arménienne du gazoduc Iran - Arménie serait la réponse russe à l'avancée américaine dans le Caucase Sud (remise en fonctionnement du gazoduc Iran - Géorgie par le territoire azerbaïdjanais, mise en service prochaine du gazoduc Bakou - Tbilissi - Erzéroum, étude en cours du pipeline transcaspien entre le Kazakhstan et Bakou). Grâce à la Russie, l'Arménie verrait naître un début de désenclavement par le Sud Est et échapperait quelque peu à la tenaille tendue par la Turquie et l'Azerbaïdjan. Grâce à la Russie, l'Iran, isolé par ses ambitions nucléaires, trouverait un appui international quitte à perdre quelques intérêts commerciaux dans la vente de son gaz. Grâce à l'Arménie et à l'Iran, la Russie pourrait esquiver le risque de voir le gaz iranien desserrer son étreinte sur la région et vers les pays de l'Union européenne.

(2) Le ministère russe de la Santé interdisait le 27 mars 2006 l'importation de vin géorgien suite à la découverte de traces de pesticide dans les échantillons analysés. La Douma russe soutenait le 15 avril 2006 une résolution en faveur du durcissement du contrôle sanitaire des produits alimentaires importés de Moldavie et de Géorgie (vins, brandys, eaux minérales). En 2005, la production vinicole géorgienne a été exportée à 87% vers la Russie, à hauteur de 63 millions de dollars. La production d'eaux minérales géorgiennes a été exportée à 60% vers la Russie, à hauteur de 23 millions de dollars.

(3) Un porte-parole de l'organisme officiel russe de contrôle des produits de consommation déclarait le 15 avril 2006 que "l'eau minérale de Borjomi enfreint les obligations d'information des consommateurs stipulées par les lois russes".

(4) Konstantiné Zatouline, directeur d'un institut associé à la CEI (communauté des pays de l'ex-URSS, à l'exception des pays baltes) déclarait le 19 avril 2006 que "la CEI n'est pas une structure susceptible de satisfaire les intérêts des pays comme la Moldavie et la Géorgie qui avancent pour priorité la restitution de certains territoires".

(5) La chaîne de télévision russe NTV faisait état le 11 avril 2006 d'une étude des autorités russes visant à restreindre le transfert des ressources financières de Russie vers la Géorgie.

(6) Les ministres russe et géorgien des Affaires étrangères signaient en mai 2005 un accord sur l'évacuation des bases militaires russes en Géorgie ; les ministres de la Défense en signaient les modalités pratiques en mars 2006, en particulier le transfert d'une partie des matériels de la base d'Akhalkalaki (située sur le territoire géorgien) vers la base de Goumri (située sur le territoire arménien). Le Parlement géorgien approuvait l'ensemble le 13 avril 2006. Certains véhicules militaires et blindés avaient déjà quitté la Géorgie. Certains ouvrages militaires seront remis aux autorités géorgiennes d'ici le 1er juillet 2006. Les matériels lourds relevant du Traité des Forces Conventionnelles en Europe (novembre 1990) seront évacués d'ici la fin 2006 ; les matériels des bases d'Akhalkalaki et de Batoumi le seront totalement au 31 décembre 2007. La Géorgie prendra possession des lieux en 2008 ; un centre anti-terroriste russo-géorgien devrait s'ouvrir à Batoumi.

(7) La Géorgie dépensera 217 millions de dollars en 2006 pour son budget défense (3,3% du PIB), contre 166 millions pour l'Arménie et 600 millions pour l'Azerbaïdjan.

(8) La presse russe donnait le 19 avril 2006 un large écho aux déclarations du député géorgien Gotcha Pipia (majorité présidentielle) souhaitant "la neutralité de la Géorgie vis-à-vis de la Russie et vis-à-vis des Etats-Unis, ainsi que l'abandon de la demande d'adhésion à l'OTAN".

(9) Non seulement la Moldavie et la Géorgie , déjà membres de l'Organisation Mondiale du Commerce, mais aussi l'Union européenne, ont exprimé des réserves quant à l'adhésion de la Russie dans les circonstances actuelles. Ce serait également le cas de l'Ukraine, si elle était admise avant la Russie. Mikheïl Medvedkov, responsable des négociations au ministère russe du Développement économique et du Commerce, s'étonnait le 11 avril 2006 du fait que "certains pays membres de l'OMC cherchent à règler leurs problèmes bilatéraux avec la Russie à la faveur de la candidature de cette dernière".

(10) Après avoir approfondi les relations engagées avec les Etats-Unis, Mikheïl Saakachvili se tourne vers la Chine ; lors de son voyage à Pékin, du 10 au 15 avril 2006, une quarantaine d'accords de coopération (transports, électricité, agriculture, développement économique) étaient signés. En 2004, la Chine avait financé et mis en oeuvre une centrale hydroélectrique dans les gorges de Pankissi (33 millions de dollars). En 2005, elle n'était encore que le 15éme partenaire commercial de la Géorgie. En 2006, les perspectives d'exportation de vin géorgien vers Pékin s'élèveraient à plus de 120 millions de dollars. Le 13 avril 2006, le gouvernement chinois aurait effacé la dette géorgienne, soit quelques 3 millions de dollars.

Voir aussi :
-  Géorgie, "l'Etranger proche" de la Fédération de Russie (novembre 2004), 25 novembre 2004,
-  Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie : le Caucase du Sud à trois vitesses (décembre 2004) , 20 décembre 2004,
-  La Chine manifeste son intérêt pour la Géorgie (2005), 10 janvier 2005.


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