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Les Russes toujours méfiants vis-à-vis des médecins de famille (2004)


vendredi 29 octobre 2004

Depuis 1992, la Russie tente activement d'implanter la médecine de famille, mais les Russes en savent encore extrêmement peu. Les médecins de famille, ou généralistes, ne sont toujours pas à même d'accomplir la mission qui leur est prescrite par la réforme de la santé, celle de soulager les médecins spécialistes et les hôpitaux en économisant des fonds publics.

Toutefois, la pénurie de médecins de famille - 7.000 formés au cours de la décennie écoulée contre les 75.000 prévus - et l'insuffisance de fonds publics pour satisfaire aux besoins d'équipements indispensables ne sont pas les seules raisons. C'est que la majorité des Russes ne les prennent pas encore au sérieux.

À l'étranger, les généralistes soignent 80 % des malades sans avoir recours à des spécialistes. Après perfectionnements ils peuvent intervenir en traumatologie ou neuropathologie, pratiquer des accouchements et de petites interventions chirurgicales. Connaissant le mode de vie des parents et les maladies héréditaires, ils surveillent l'enfant dès sa naissance et peuvent prévenir ses maladies. De nos jours, "il manque un lien efficace entre les polycliniques (en Russie : centres de soin ambulatoires - ndlr.) et les hôpitaux", déplore le président de l'Association russe des généralistes Igor Denissov. Selon lui, les médecins de famille se glisseraient ainsi dans le créneau ouvert, car ils suivraient aussi le traitement hospitalier de leurs malades.

En Russie, les généralistes sont formés dans 21 établissements d'enseignement supérieur. La médecine de famille connaît un essor à Saint-Pétersbourg, en Tchouvachie, à Kalouga, Penza, Oulianovsk, et Nijni Novgorod compte prochainement rejoindre la liste. Les généralistes se réunissent lors de conférences pour partager leur expérience avec les autres membres de la profession. Des médias et des cliniques privées étrangères s'emploient à populariser la médecine de famille. Toutefois, les queues ne tarissent pas chez les médecins spécialistes, et la réforme piétine.

Sur 250 malades, 120 à 150 s'adressent aux médecins spécialistes alors que 10 en ont réellement besoin, minimum fixé par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). "Qu'est-ce que c'est que ce médecin qui soigne toutes les maladies ? s'interroge Galina, la cinquantaine. Je n'ai pas confiance en eux". La Russie n'a pas connu de médecins de famille depuis la révolution de 1917, la santé publique dans le pays des Soviets étant caractérisée par un grand nombre de médecins spécialistes. "Je préfère faire la queue pour consulter un médecin vraiment compétent, un professionnel", résume Galina.

Beaucoup de médecins réputés sont eux aussi souvent sceptiques au sujet de la médecine de famille. "L'OMS avait reconnu le système soviétique de la santé publique le meilleur au monde par sa structure", rappelle le médecin pédiatre de renom, Leonid Rochal. L'Union des pédiatres voit dans le nouveau système une menace à la protection maternelle et infantile qui connaît un essor ces dernières années. Les médecins de famille ne pourront pas supplanter les polycliniques pédiatriques pour la bonne et simple raison qu'un médecin de famille n'a pas les connaissances d'un pédiatre et il ne pourra pas physiquement assurer la totalité des check-up et des préventions, un avis partagé par beaucoup de médecins.

Les hôpitaux continuent d'engloutir la plus grande partie des fonds de l'assurance maladie. Numéro un mondial en terme de nombre de médecins par habitant, la Russie accuse aussi un taux d'hospitalisation élevé. "Dans les villes, les lits d'hôpital sont souvent de nature sociale. 80 % des malades n'en ont pas besoin en réalité, raconte Tatiana Iakovleva, présidente du comité de la Douma pour la protection de la santé. On commence à traiter dans les hôpitaux des maladies banales comme la pharyngite ou la varice. Des personnes âgées optent souvent pour l'hôpital parce qu'elles n'ont pasd'argent pour acheter des médicaments et se soigner chez elles".

Les hôpitaux municipaux sont surchargés, alors que les fermetures de cliniques rurales se multiplient faute d'argent et de médecins. Un centre ambulatoire rural sur six n'a pas de médecins ou a des médecins en âge de la retraite, les malades étant souvent soignés par des infirmiers. Il y a même eu des cas où des sages-femmes ont dû pratiquer de véritables interventions chirurgicales. Que dire alors des soins dentaires ! L'écrivain Mikhaïl Boulgakov, lui-même médecin de formation, relatait des situations déplorables de ce type dans les années 1920. En ce début du XXIe siècle, oubliant les réalisations de la médecine soviétique, la campagne russe replonge dans le passé.

Pourtant, les villages pourraient bien profiter des médecins de famille avec leurs connaissances et pratiques universelles. Même les détracteurs de la médecine de famille le reconnaissent. Mais les jeunes spécialistes font fi de la campagne : qui accepterait un salaire inférieur à 100 dollars ? La Russie est reléguée à la 130e position dans le monde en terme d'allocations publiques à la santé, tel est le verdict de l'OMS. Mieux vaut donc travailler dans le privé. Et comment exercer les fonctions de médecin de famille - mesurer la tension, faire des accouchements, mettre des pansements - sans avoir les équipements nécessaires ? Rares sont les généralistes qui disposent de toute cette logistique. Une partie de nouveaux médecins de famille sont obligés de s'embaucher comme médecin de quartier et perdent leur qualification.

Il faudra du temps pour qu'un tournant psychologique et financier se produise, pour que les gens commencent à faire confiance aux généralistes et que l'État les encourage comme il le devrait. D'ailleurs, c'est peu de choses. Pour que la réforme de la santé réponde à toutes les attentes, les Russes doivent reprendre l'habitude oubliée d'un mode de vie sain. Alors, la médecine des hôpitaux, onéreuse et peu productive, fera place à celle de la prévention, économe et efficace.

Olga Sobolevskaïa, commentatrice RIA-Novosti/Moscou, 27 octobre 2004



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