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Nationalismes : "Intégrisme et fanatisme" (5/6)


mercredi 30 avril 2003

 

INTEGRISME ET FANATISME


Intégrisme et sens de l'Histoire

La notion d'intégrisme est forcément moderne. Dans les sociétés traditionnelles, tous les registres sont confondus : politique, social, religieux. Toute personne (ou tout groupe social) qui cherche à mettre en cause fondamentalement l'ordre établi est un marginal, un déviant, un individu dangereux. Il est obligatoirement, et en même temps, rebelle et hérétique : on ne peut que l'excommunier ou le brûler.

Le concept d'intégrisme est récent, à deux égards :
-  Il s'applique à une société qui dissocie d'une manière notable le profane et le sacré, le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. Il est significatif que, sur le plan doctrinal, l'intégrisme cherche à rétablir l'alliance du ciel et de la terre. Ce n'est pas par hasard si cette notion est apparue en France dans les années 1900, au moment où s'est posée d'une façon aiguë la question de la séparation de l'Eglise et de l'Etat.
-  Il concerne, par ailleurs, une société qui se transforme d'une manière rapide. L'ouverture à l'Histoire en tant qu'évolution ayant un sens fait apparaître des formes de pensée et d'organisation sociale qui peuvent être qualifiées de progressistes, par rapport à d'autres, considérées comme retardataires. Cette évolution désoriente et met en cause des personnes et des groupes sociaux qui fondaient leur pouvoir sur l'ordre établi, à savoir l'alliance objective du sabre et du goupillon. Elle entraîne souvent des frustrations et des rancœurs chez ceux qui n'arrivent pas à s'accommoder de ce changement de statut social et politique. À un moment donné, le pouvoir politique et idéologique change de mains. Les partisans de l'ordre "traditionnel" deviennent minoritaires. Quand ils ne recouvrent pas un groupe constitué (une caste, une classe sociale, une ethnie, une église) leur seul recours est de se rassembler autour d'une personne, d'une équipe et d'un organe de presse qui incarnent leur "pensée" commune. Le fait associatif permet, notamment, ce regroupement.

Par extension, l'intégrisme peut désigner toute démarche qui vise à sauvegarder l'identité et l'intégrité d'un groupe touché par des évolutions sociales, économiques, technologiques ou culturelles qui menacent un ordre social fondé sur une idéologie qui lui assure une place prépondérante. Mais l'intégrisme va plus loin que le simple conservatisme, en ceci qu'il s'appuie sur une idéologie considérée comme étant "la Vérité", dans la mesure où elle renvoie à une transcendance qui légitime l'ordre social en le sacralisant.

Le fanatisme

Le fanatisme désigne un comportement qui peut prendre des formes individuelles ou collectives, mais qui renvoie nécessairement à une réalité sociale, à savoir un groupe ou une société globale qui privilégie un certain type d'organisation que l'on peut qualifier de "totalisante", voire de "totalitaire" :
-  Exacerbation du moi collectif, qui se traduit par un monolithisme de la pensée collective, par un système pyramidal, et par un culte rendu à la personnalité des leaders.
-  Des comportements individuels pouvant aller jusqu'à l'hystérie, et des comportements sociaux reposant sur la manipulation des foules et le conditionnement des masses.

S'appliquant à des petits groupes, le fanatisme se niche souvent au sein de sectes cultivant le mythe du héros inspiré, éventuellement envoyé de Dieu, quand on n'a pas affaire, carrément, à une réincarnation divine (messianisme). Le contenu doctrinal est généralement sommaire, se bornant à des messages primaires et simplistes susceptibles de répondre aux angoisses profondes des participants, regroupés par cooptation.

Le plus souvent, le fanatisme affecte des populations marquées par des stresses d'origines diverses : pauvreté économique et morale, sous-développement culturel, domination par une catégorie sociale ou un pays qui les tient en situation de dépendance, voire d'aliénation. Cette situation engendre des frustrations, des humiliations et des aliénations, qui n'ont que deux débouchés possibles :
-  La passivité, avec tous ses palliatifs : les maladies psychosomatiques, la drogue, l'alcoolisme, les religions à caractère messianique, etc.
-  L'attitude offensive, qui peut prendre également des formes très diverses : "résistance", violences, guérilla, etc.

Dans les deux cas, il suffit de présenter une doctrine "libératrice", pour polariser ce climat psychologique éminemment explosif et susciter un espoir d'autant plus "fou" que les promesses sont illusoires et démagogiques. Poser un tel fondement au fanatisme suffit à montrer que les "remèdes" ne peuvent pas se réduire à des réponses à caractère pédagogique ou thérapeutique. Il est, en effet, nécessaire d'apporter des solutions économiques ou politiques à la situation de frustration que connaît la population guettée ou atteinte par le fanatisme.

Le messianisme

Le messianisme est caractérisé par :
-  Une situation de frustration collective : domination économique, sociale, culturelle, politique ou état de pauvreté.
-  Une doctrine ou un ensemble de messages plus ou moins élaborés, constitué par la conscience collective, la tradition ou par un groupe social, annonçant un "messie" qui sauvera le peuple et le vengera de ses malheurs, en lui assurant bonheur et prospérité.
-  Un leader charismatique, généralement béni par Dieu, sinon envoyé par lui, quand ce n'est pas une réincarnation de la divinité.

Le messianisme prophétique promet une société meilleure, gagnée "dans les larmes et dans le sang". Le messianisme démagogique annonce un "paradis sur terre", tout de suite et sans effort. Quand ce type de messianisme se laïcise, il renvoie au populisme et autres mouvements politiques à tendance démagogique. En poussant plus loin, on trouve tous les poujadismes et même les propositions commerciales de type "Club Med" caractérisées par l'annonce d'un paradis artificiel où les clients pourront satisfaire tous les grands mythes de l'humanité : l'amour sans tabou, les biens en abondance (buffet campagnard), la suppression de toute hiérarchie sociale, etc.

Fanatisme et refus de l'altérité

Il serait inadéquat, croyons-nous, de définir le fanatisme comme le refus de l'altérité, car ce type de comportement repose sur une certaine conception de l'Autre. Nous pouvons classer l'altérité, vue par le fanatisme, en trois catégories :
-  L'Autre est d'abord celui qui n'est pas encore gagné à la Cause, ce qui conduit au prosélytisme, avec toutes ses formes de "persuasion" : séduction, embrigadement, envoûtement, etc.
-  C'est aussi celui qui résiste à l'embrigadement, qui met en question le caractère sacré de la Cause : il doute, il nie, il ridiculise, en un mot il commet le sacrilège et, de ce fait, mérite d'être exclu, s'il n'encourt pas des châtiments plus redoutables.
-  Enfin, l'Autre est celui qui est cause du malheur du peuple, celui par qui le scandale arrive, le Bouc émissaire, le Diable. Il encourt le châtiment, la vengeance, la torture, la mort, quand on l'attrape. En attendant de le tenir, il fait l'objet de rites symboliques ou magiques (pendaison d'effigies, incantations, etc). L'Autre permet l'identification par la négative. Par le processus bien connu de la "diabolisation", il justifie la Cause et soude le corps social. Il légitime tous les sacrifices.

Le narcissisme collectif, ou ethnocentrisme

La forme collective du narcissisme est l'ethnocentrisme, qui prend généralement deux aspects :
-  Le chauvinisme est la préférence systématique accordée à tout ce qui vient du groupe d'appartenance : c'est forcément mieux chez soi que chez les autres. A l'échelon d'un village, on appelle cette attitude "esprit de clocher". À l'échelon d'un pays, c'est le nationalisme.
-  La xénophobie est le corollaire du chauvinisme : puisque c'est forcément mieux chez soi, cela veut dire que les autres sont franchement mauvais. Ils peuvent même devenir indésirables en temps de paix et ennemis irréductibles en temps de guerre.

Le chauvinisme et la xénophobie constituent les deux faces de l'exacerbation du sentiment d'appartenance, lequel est une composante normale de l'identité d'un groupe. Les groupes, comme les individus, se posent souvent en s'opposant. La compétition, l'émulation, la concurrence représentent des éléments de structuration non seulement d'une collectivité, mais de l'ensemble de la vie sociale.

Quand un groupe se replie sur lui, en n'entretenant que des rapports minimaux avec l'extérieur, mais sans agressivité, on parle d'autarcie. C'est le principe du "nid" ou du "cocon", fréquent chez les adolescents ou les populations frustres.

À quel moment l'ethnocentrisme devient-il pathologique ? Les frontières sont floues. On peut distinguer des exacerbations conjoncturelles et des exacerbations structurelles :
-  Conjoncturelles : à un moment donné, à la faveur d'un évènement fortuit, un antagonisme latent peut devenir virulent, les passions s'enflamment. C'est souvent à cause d'un événement qui modifie de manière plus ou moins sensible l'équilibre des forces en présence. Des actes de violence individuelle ou d'hystérie collective peuvent apparaître, sans qu'il s'agisse d'un phénomène durable. La plupart du temps les passions s'éteignent rapidement, faute d'enjeu véritable.
-  Structurelles : les antagonismes reposent sur des fondements plus durables. Les haines prennent un aspect culturel et s'installent dans l'inconscient collectif. La relation à l'autre devient alors "fanatisable".

Pour se résumer, l'intégrisme constitue une réponse collective à une situation sociale, culturelle, économique ou politique qui, en se modifiant d'une manière profonde (évolution), voire radicale (révolution), démonétise les valeurs auxquelles se rattachent les personnes concernées. Les frustrations qui en résultent, quand elles deviennent insoutenables, faute d'un ralliement aux nouvelles valeurs dominantes, entraînent des réactions qui peuvent prendre des formes soit passives (résignation), soit compensatoires (somatisation, drogue, délinquance...), soit offensives (reconquête, croisade). Dans ce dernier cas, la réaction intégriste peut devenir fanatique.

Le fanatisme, quant à lui, renvoie à un narcissisme collectif (ethnocentrisme) qui prend une tournure intolérante et agressive. Il peut reposer, soit sur un intégrisme quand il constitue une réaction face à la perte d'un pouvoir idéologique, soit d'une manière plus générale, sur un militantisme hégémonique quand le groupe concerné pense que les valeurs qu'il incarne, non seulement sont les meilleures, mais doivent s'imposer aux autres. Quand un groupe fanatique accède au pouvoir, il gouverne généralement par voie de dictature. Ses moyens de domination privilégiés sont, d'une part la force physique (armée, police, milice, services secrets) et d'autre part, la propagande et la manipulation des masses (du pain, des jeux, du rêve...). En amalgamant et en polarisant les frustrations populaires, le leader ou le groupe dominant consolide son assise à partir d'une construction idéologique qui légitime son pouvoir. C'est ainsi qu'il peut être amené à susciter ou à s'approprier un messianisme, qui donne d'autant plus de prise au fanatisme que les mesures économiques ou politiques qu'il met en œuvre ne parviennent pas à satisfaire les aspirations populaires. L'utopie proposée est alors d'autant plus exacerbée que les frustrations populaires sont fortes et que l'impuissance des dirigeants est grande ("Le grand soir", les "Lendemains qui chantent"...).



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