Réunion Aliyev-Poutine, Douchanbé
Lors du sommet de la CEI à Douchanbé, une rencontre tant attendue a eu lieu entre le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev et le président russe Vladimir Poutine.
Cette rencontre est considérée comme une étape importante dans l’apaisement des tensions croissantes entre les deux pays au cours de l’année écoulée. Le dialogue entre Aliyev et Poutine a particulièrement retenu l’attention dans le contexte de la crise déclenchée par l’abattage d’un avion de ligne azerbaïdjanais dans l’espace aérien russe fin 2024.
Le dialogue entre Aliyev et Poutine a particulièrement attiré l’attention dans le contexte de la crise qui a éclaté après qu’un avion de ligne azerbaïdjanais a été abattu dans l’espace aérien russe en décembre 2024. Bakou a toujours exigé que Moscou présente des excuses officielles, demande des comptes aux responsables et indemnise les familles des victimes.
Les tensions se sont encore intensifiées en juin lorsque les forces spéciales russes ont mené une opération ciblant les Azerbaïdjanais locaux à Ekaterinbourg, entraînant la mort de deux personnes et la détention d’une dizaine d’autres dans un contexte de violence extrême. Peu de temps après, de nombreux membres de la diaspora azerbaïdjanaise ont été arrêtés, certains étant ensuite expulsés.
Dans le même temps, le Congrès américain a présenté le PEACE Act (HR5632), proposant des sanctions en cas d’éventuelle action militaire azerbaïdjanaise contre l’Arménie, donnant à la réunion une signification géopolitique supplémentaire.
Cette analyse examine les sujets officiels discutés à Douchanbé, les raisons des récentes tensions dans les relations Bakou-Moscou, les aspects en coulisses des pourparlers et le contexte plus large de la législation américaine à l’étude.
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Agenda officiel : crash d’avion et signaux de coopération
Lors de la séance officielle à Douchanbé, l’incident de l’avion de ligne AZAL, abattu par les systèmes de défense aérienne russes en décembre 2024, a été au centre de l’attention. Vladimir Poutine a reconnu la responsabilité de la tragédie, expliquant que deux missiles russes ont explosé près de l’avion AZAL en raison d’un « dysfonctionnement technique », et a réitéré ses excuses pour « l’accident tragique » qui a coûté la vie à 38 personnes.
Poutine a promis que la Russie « prendrait toutes les mesures nécessaires » pour indemniser les familles des victimes et demander des comptes aux responsables.
Le président Ilham Aliyev a, à son tour, remercié Poutine pour avoir supervisé personnellement l’enquête et a salué la discussion ouverte sur une question aussi sensible au cours de la réunion. Selon Aliyev, Bakou avait dès le départ cru que la Russie mènerait une enquête objective et approfondie et que les éclaircissements détaillés fournis par Poutine seraient accueillis positivement par la société azerbaïdjanaise.
Dans le même temps, les dirigeants ont émis des signaux optimistes quant à l’état général des relations bilatérales.
Poutine a déclaré que, malgré la tragédie et ses « certaines nuances », les relations commerciales et économiques entre la Russie et l’Azerbaïdjan continuent de se développer avec succès.
Il a noté que le chiffre d’affaires commercial de l’année dernière a augmenté de 6% et qu’au cours des premiers mois de cette année, il avait déjà augmenté de plus de 16%. Il a également souligné le niveau élevé et continu des contacts humanitaires et a rappelé la Déclaration de 2022 sur la coopération alliée, réaffirmant l’engagement envers ses dispositions clés.
Le président Aliyev a souligné que la croissance du commerce en 2025 se poursuivrait régulièrement, sans déclin dans aucun secteur. Au contraire, toutes les « feuilles de route » convenues précédemment sont mises en œuvre avec succès. Il a également mentionné une récente réunion élargie de la commission intergouvernementale bilatérale, où les discussions ont été, selon ses termes, « de nature large et positive ».
Les deux dirigeants ont exprimé l’espoir que leurs déclarations publiques conjointes à l’issue de la réunion seraient considérées comme une étape constructive vers la normalisation des relations.
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Même si les relations politiques entre l’Azerbaïdjan et la Russie se sont sensiblement refroidies ces derniers mois, les chiffres commerciaux montrent la tendance inverse.

Discussions à huis clos : versions et deals en coulisses
Au-delà des déclarations officielles, des informations suggèrent que la partie à huis clos de la rencontre entre Aliyev et Poutine s’est concentrée sur plusieurs questions sensibles.
Selon des sources, au milieu d’une vague d’arrestations mutuelles ces derniers mois, une attention particulière a été accordée au sort des citoyens détenus.
Les observateurs pensent que Moscou a exigé la libération de ses ressortissants, dont un journaliste russe et d’autres personnes arrêtées en Azerbaïdjan pour espionnage.
En effet, peu après les pourparlers, l’Azerbaïdjan a libéré Igor Kartavykh, rédacteur en chef de Spoutnik Azerbaïdjan.
À peu près au même moment, il a été rapporté que la Russie avait libéré le citoyen azerbaïdjanais Mamedali Aghayev.
Ces démarches réciproques ont renforcé les spéculations sur un accord informel – un « échange discret d’otages ».
Les discussions auraient également porté sur le cas du fils de Shahin Shykhlynsky, chef de la diaspora azerbaïdjanaise dans la région russe de l’Oural, ainsi que sur d’autres membres de sa famille actuellement détenus en Russie. Cette question aurait été soulevée comme une préoccupation humanitaire.
Un autre sujet probable des discussions à huis clos était le statut des soi-disant « personnalités pro-russes » au sein de l’élite dirigeante de l’Azerbaïdjan.
Au fil des années, plusieurs hauts responsables traditionnellement associés à Moscou ont conservé leur influence à Bakou – parmi lesquels l’ancien chef de l’administration présidentielle Ramiz Mehdiyev, le premier vice-Premier ministre Yaqub Eyyubov, la présidente du Parlement Sahiba Gafarova et le secrétaire du Conseil de sécurité Ramil Usubov.
Le Kremlin est connu pour être particulièrement sensible au sort de ces cadres loyaux.
Les médias russes ont également noté qu’en dépit des tensions récentes, des personnalités longtemps présentes dans l’orbite politique russe continuent d’exercer une influence sur les structures du pouvoir azerbaïdjanais.
Dans ce contexte, il est possible que Poutine ait demandé à Aliyev l’assurance que les cercles politiques et sociaux pro-russes en Azerbaïdjan ne seraient pas persécutés.
Les questions qui auraient pu susciter des inquiétudes à Moscou incluraient la fermeture potentielle des écoles de langue russe et la suspension de projets culturels liés à la Russie.
Au milieu des tensions estivales entre les deux pays, plusieurs événements culturels russes en Azerbaïdjan ont en effet été reportés et des informations ont fait état de projets de fermeture des écoles de langue russe.
Il est probable que Poutine ait exhorté Bakou à agir avec prudence sur ces questions et à éviter de saper les relations humanitaires bilatérales qui restent l’un des derniers piliers stables de l’influence russe en Azerbaïdjan.
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La principale exigence de l’Azerbaïdjan est des excuses officielles de Moscou et une compensation de l’État pour les dommages causés.

Dans le contexte de l’adoption par le Congrès américain du PEACE Act
Lors de la réunion d’octobre, une autre question prioritaire à l’ordre du jour de Bakou était celle des signaux politiques croissants en provenance de Washington.
Le 30 septembre, les députés républicains Darrell Issa et Gus Bilirakis ont présenté à la Chambre des représentants américaine le PEACE Act (Preventing Escalation and Advancing Caucasus Engagement Act), un projet de loi qui envisage des sanctions potentielles contre l’Azerbaïdjan.
Selon le document, si le président américain détermine que l’Azerbaïdjan a commis un nouveau « acte d’hostilité » contre l’Arménie, les mesures suivantes seraient déclenchées :
- des sanctions contre de hauts responsables azerbaïdjanais et des personnes associées ;
- les restrictions financières ciblant le secteur pétrolier et gazier ;
- des sanctions supplémentaires contre ceux qui sont considérés comme faisant obstacle au processus de paix.
Bien que le projet de loi soit encore en discussion, il comporte déjà des risques politiques et économiques importants pour l’Azerbaïdjan.
La principale d’entre elles est la possibilité qu’en cas de nouvelle escalade militaire avec l’Arménie, le président Ilham Aliyev et son entourage pourraient devenir des cibles directes de sanctions américaines – conduisant potentiellement au gel des avoirs à l’étranger et à des restrictions sur les voyages internationaux.
Le secteur énergétique – la principale source de revenus de l’Azerbaïdjan – pourrait également être mis sous pression.
Un refus des banques et des investisseurs étrangers de coopérer avec l’industrie pétrolière azerbaïdjanaise aurait probablement un effet néfaste sur l’économie du pays. En ce sens, si elle est adoptée, la loi PEACE pourrait devenir un puissant outil de levier économique et politique contre Bakou.
Jusqu’à présent, les responsables azerbaïdjanais n’ont pas commenté publiquement le projet de loi. Cependant, les médias et commentateurs pro-gouvernementaux n’ont pas tardé à le dénoncer. « partial, unilatéral et injuste ».
Les observateurs politiques à Bakou ont décrit cette initiative comme une « instrument de la diaspora arménienne » soulignant l’historique de lobbying des membres du Congrès en faveur de l’Arménie.
Le moment choisi pour les discussions sur le PEACE Act – coïncidant avec la réunion de Douchanbé – semblait symbolique.
L’implication géopolitique est claire : Bakou se retrouve désormais en équilibre entre les pressions de Moscou et de Washington.
D’une part, en s’entretenant directement avec Vladimir Poutine, Aliyev a montré sa réticence à aggraver les tensions avec la Russie et sa volonté de résoudre les différends existants – une démarche également destinée à signifier à Washington que l’Azerbaïdjan ne cherche pas à se distancer complètement de Moscou.
D’un autre côté, la menace de sanctions américaines pourrait pousser Bakou à coopérer encore plus étroitement avec le Kremlin. En effet, l’Azerbaïdjan signale que la pression occidentale ne fera que renforcer ses liens avec la Russie – soulignant que le pays ne sera pas laissé sans options stratégiques.
En fait, ce sont les équilibres géopolitiques des jeux géopolitiques : il s’agit d’une manœuvre à deux. En substance, cela fait partie d’un exercice d’équilibre géopolitique plus large : Bakou manœuvre entre deux grandes puissances, cherchant à extraire de chacun des garanties politiques et des avantages stratégiques.
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