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Paris s'est-il rapproché de Tbilissi ?


L'AMBASSADE DE FRANCE EN GÉORGIE SANS TITULAIRE DURANT TROIS MOIS, L'AMBASSADE DE GÉORGIE EN FRANCE ÉGALEMENT.
mercredi 16 juin 2004, par Mirian Méloua

Au mois de mars dernier, la visite officielle de Mikhaïl Saakachvili à Jacques Chirac a apporté un souffle nouveau aux relations franco-géorgiennes. Jusqu'à présent, aucun président français n'a réellement cherché à s'investir dans le Caucase. Aujourd'hui, les intentions du chef de l'Etat français restent encore à définir.

Les chefs d'Etat élus dans le cadre d'une Géorgie indépendante, Jordania en 1918, Gamsakhourdia en 1991, Chevardnadzé en 1995 et Saakachvili en 2004, ont cherché des alliances stratégiques hors France, même si leurs propos citaient souvent les valeurs démocratiques françaises en exemple. D'Aristide Briand à Jacques Chirac, la France n'a pas particulièrement cherché à développer ses intérêts dans le Caucase, même si les déclarations d'intention n'ont pas manqué tant à la Société des Nations qu'aux Nations Unies.

Noé Jordania, fondateur de la République Géorgienne, s'était appuyé sur le modèle de la sociale démocratie allemande. Il trouvait ainsi un contrepoids régional aux hégémonies russes (armée blanche de Denikine et armée rouge de Trotski) et à la velléité territoriale turque. La reconstruction de la nation géorgienne se heurta aux minorités ethniques, en particulier en Ossétie du Sud et en Abkhazie. La Garde Nationale intervint. Après la défaite allemande en 1918, la Grande-Bretagne fut mandatée dans le Caucase, mais elle plia rapidement bagage, préférant un accord commercial avec la Russie soviétique. En 1921, l'armée rouge entra dans le pays par le Nord, tandis qu'au Sud, l'armée turque tentait de s'emparer de l'Adjarie. La France accueillit alors le gouvernement Jordania en exil.

Zviad Gamsakhourdia, opposant et nationaliste volontaire, restaura l'indépendance de la Géorgie après le massacre perpétré par les forces soviétiques en 1989 à Tbilissi. Le contexte était difficile et conflictuel, les intérêts russes étaient assimilés aux intérêts soviétiques. Les perspectives politiques d'une fédération des peuples du Nord et du Sud Caucase ne pouvaient que les heurter. Elles se heurtèrent également aux minorités ethniques et laissèrent l'Ossétie du Sud pratiquement en sécession, sous influence du voisin du Nord. Gamsakhourdia n'eut guère le temps de nouer d'alliance stratégique : il perdit le pouvoir lors d'un coup d'état militaire et disparut dans des conditions encore mal éclaircies. La France accueillit une nouvelle fois une émigration politique géorgienne, les "zviadistes" ; son fils s'installa non loin de là, à Bâle, avant de tenter un retour en politique en mars 2004.

Edouard Chevardnadzé, homme du régime soviétique et de sa réforme, fit jouer ses contacts personnels avec l'ancien secrétaire d'Etat américain James Baker et l'ancien ministre des affaires étrangères allemand Hans Genscher. Afin de limiter le risque russe, il chercha l'alliance avec les Etats-Unis et essaya d'intéresser l'Allemagne à l'économie de la Géorgie. Finalement il décida l'envoi en Irak d'un contingent militaire géorgien aux côtés de l'armée américaine. La question des minorités ethniques et religieuses le rattrapa également ; il laissa une Abkhazie en sécession de fait et une Adjarie musulmane en sécession économique, toutes deux sous influence du voisin du Nord. Ses contacts avec la France de François Mitterrand furent limités, avec celle de Jacques Chirac également. La France aurait pu accueillir son gendre, accusé d'évasion fiscale par le nouveau pouvoir : il fut arrêté dans l'avion Tbilissi - Paris en février 2004.

Mikhaïl Saakachvili affiche la carte américaine dès le début des évènements de novembre 2003. Sa première visite officielle à un Etat est pour l'Allemagne. Il rencontre des difficultés en Adjarie. Tout comme hier, la Russie ne peut concrètiser ses regrets de voir le Sud Caucase lui échapper autrement que par des sanctions économiques et par un soutien discret aux minorités ossètes, abkhazes et adjares. Les Etats-Unis ont plus que jamais besoin d'un régime présentable en Géorgie afin que leurs intérêts pétroliers issus de la Caspienne soient sauvegardés. Avec prudence, l'Union Européenne s'éveille aux pays de l'Est, craignant de perdre une partie stratégique se jouant quelque part sur la route de l'Asie Centrale vers les Balkans.

Pourtant une lecture complémentaire peut-être aujourd'hui proposée, l'attrait d'un jeune président parlant géorgien, russe, anglais et français, appelant le patronat français à venir investir en Géorgie -après avoir fait de même auprès des patronats allemands et américains-, appelant la diaspora géorgienne en France à retourner au pays pour le relever -après avoir fait de même en Allemagne et aux Etats-Unis-, appelant la classe politique française à faciliter l'association de la Géorgie à l'Union Européenne -après avoir fait de même en Allemagne et aux Etats-Unis-. Elle illustre plus une approche pro-occidentale qu'une spécificité française.

Certes, les 8 et 9 mars à Paris, Mikhaïl Saakachvili a demandé à Michel Platini la confirmation qu'Alain Giresse entraînera l'équipe de football de Géorgie vers de hauts sommets. Jacques Chirac, amateur de football, a certainement donné un avis. Certes, le président géorgien a affirmé à la diaspora géorgienne que la Géorgie se souvenait de son passé : "pour bâtir son avenir il faut connaître son passé. Bâtir un centre culturel franco-géorgien sur le lieu d'exil du gouvernement Jordania serait bâtir l'avenir". Et de promettre d'en parler à Jacques Chirac. Certes, une réflexion sur une politique étrangère alternative, plus favorable à la normalisation des relations russo-géorgiennes, serait dans l'air du temps à Tbilissi. Qui mieux qu'un diplomate français, représentant une Véme République marquée de différence vis-à-vis de Moscou et possédant la double nationalité. pourrait le mieux aider ? Et d'en parler à Jacques Chirac. Salomé Zourabichvili est ce diplomate là.

La culture caractériserait ainsi la spécificité de la relation franco-géorgienne, faute de mieux. D'ailleurs Mikhaïl Saakachvili a rencontré Abdou Diouf, président de l'Organisation Internationale de la Francophonie : la Géorgie devrait déposer sa candidature à l'O.I.F. en novembre 2004 pour un satut d'observateur. Vakhtang VI, roi de Géorgie, n'en serait pas étonné ; il avait mandaté en 1714 son oncle, Soulkan Saba Orbéliani, auprès de Louis XIV afin d'obtenir une aide contre les voisins envahissants : "des livres plutôt que des armes !".

Limiter la spécificité de la relation franco-géorgienne à la culture serait faire injure aux banquiers (BNP Paribas, Crédit Agricole et Société Générale), au pétrolier (Total), à l'ingénierie et aux services (Spie) impliqués dans la construction de l'oléoduc Bakou - Tbilissi - Ceyhan, aux "french doctors" et à l'humanitaire, aux experts constitutionnels et à toutes les initiatives privées qui tentent de s'organiser dans le Caucase.

Un rapprochement de Tbilissi vers Paris s'amorce. L'exception culturelle française pourrait y contribuer dans le cadre de l'Europe élargie. C'est semble-t-il le souhait de la Géorgie de Mikhaïl Saakachvili, est-ce une priorité pour la France de Jacques Chirac ?

(Tbilissi, avril 2004, La Vie en Géorgie)



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