Géorgie : le statut de l'Abkhazie est au point mort (mars 2005)
LE DIALOGUE DE SOURDS CONTINUE, 13 ANS APRÈS
samedi 26 mars 2005, par Mirian Méloua
Durant l'année 2004, Soukhoumi a préparé ses élections présidentielles, proclamé la victoire du candidat Khadjimba puis celle du candidat Bagapsh, constitué le ticket "opposition-majorité" des deux candidats sous l'oeil vigilant de Moscou et s'est enfin doté d'un successeur à Vladislav Ardzinba, Sergueï Bagapsh. Il lui est resté peu de temps pour négocier avec Tbilissi, tout juste de quoi tirer quelques coups de canons.
Le 15 mars, à 22 heures 30, à Echera, une vedette garde-côtes géorgiennes essuie des tirs d'artillerie de la part des garde-frontières abkhazes. L'incident se termine le 16 mars à 3 heures, après que les Géorgiens aient battu en retraite. Le motif en est la violation des eaux territoriales abkhazes et l'arrestation illégale d'un bateau turc de pêche. Tbilissi dément.
Le 16 mars, à 12 heures 30, près de Soukhoumi, une vedette géorgienne essuie les tirs d'hélicoptères abkhazes. Le motif en est à nouveau la violation des eaux territoriales abkhazes et la non-observation des injonctions de la marine abkhaze. Tbilissi dément.
Le 18 mars, les médias russes croient savoir que les deux présidents des deux républiques autoproclamées d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud, Sergueï Bagapsh et Edouard Kokoev, seraient prêts à étudier une union d'Etats avec la Géorgie du type de celle de la Serbie et du Monténégro. Cette idée fait écho aux propositions de Fédération de Géorgie de Mikhaïl Saakachvili. Goga Khaïndrava, ministre géorgien chargé de la résolution des conflits, confirme avoir été informé par la partie ossète de cette hypothèse d'union.
Le même jour, à Moscou, Sergueï Bagapsh déclare qu'il est urgent d'étudier le statut de "membre associé" de l'Abkhazie à la Fédération de Russie, en écho au vote négatif de la Douma, le 11 mars, sur le projet de simplification des adhésions de pays issus de l'ancien espace soviétique.
Le 21 mars, Soukhoumi annonce que son ministre des affaires étrangères, Sergueï Shamba, en poste depuis 1997, sera délégué aux négociations de Genève, en avril, avec la Géorgie. Depuis une dizaine d'année, sous l'égide des Nations Unies, un groupe d'amis composé de l'Allemagne, des Etats-Unis, de la France, de la Grande-Bretagne et de la Russie essaient de faire progresser les solutions.
Le même jour, Tbilissi annonce l'arrestation d'un officier et de trois soldats russes appartenant à la "force de paix" en Abkhazie : partis du village de Pitchori dans le district de Gali (Abkhazie), ils se seraient égarés dans le village de Ganmoukhouri (district de Zougdidi, Géorgie). Ils sont libérés le soir même.
Le 22 mars, quarante soldats et sept véhicules d'infanterie russes de la "force de paix" investissent le village de Ganmoukhouri. Selon Moscou, ils étaient venus s'assurer de la normalité de la situation. Selon Tbilissi, ils avaient tenté de désarmer les soldats géorgiens présents.
Le 24 mars , Goga Khaïndrava déclare que l'incident est inadmissible et qu'il sera traité au cours de la réunion hebdomadaire "de terrain", sous l'égide des Nations Unies, à Choubourkhindji pour la prochaine.
Le même jour, Sultan Sosnaliev, nouveau ministre abkhaze de la défense, citoyen de la République de Kabardino-Balkarie selon certaines sources (et qui avait assumé les mêmes responsabilités lors du conflit de 1992-1993) déclare : "La conscription dans l'armée abkhaze sera obligatoire pour tous les citoyens, quelle que soit leur origine ethnique. Les officiers et les sous-officiers suivront une instruction de 2 à 3 mois dans l'armée russe". L'ancien général soviétique Anatole Zaïtsev, citoyen biélorusse selon les mêmes sources, est nommé chef d'Etat-Major de l'armée abkhaze.
Sur la forme, propos diplomatiques, escalades verbales, gesticulations et passages à l'acte se succèdent au gré des opportunités. Sur le fond, les dirigeants abkhazes tiennent la position : "Tout sauf le renoncement à l'indépendance" , les dirigeants géorgiens "Tout sauf l'indépendance de l'Abkhazie". Le dialogue de sourds continue. La liaison ferroviaire entre la Russie et l'Arménie, par Soukhoumi et Tbilissi, n'est pas prête d'être rétablie. Le retour en Abkhazie des 250.000 réfugiés géorgiens n'est pas pour demain. La sécurité des quelques dizaines de milliers de Géorgiens résidant dans le district abkhaze de Gali n'est toujours pas assurée. Les 62.000 Abkhazes résidant encore en Abkhazie (93.000 en 1989 et 71.000 en 1997) courent après la nationalité et le passeport russes, "au cas où...".
Une commission russo-géorgienne a examiné, à Moscou, les 23, 24 et 25 mars les différends bilatéraux, dont la résolution du conflit abkhaze. Soukhoumi a annoncé le 25 mars son accord sur la participation aux négociations de Genève d'Irakli Alasania, président du gouvernement abkhaze en exil, à la condition qu'il représente personnellement le président Saakachvili et non pas les 250.000 réfugiés géorgiens. Faibles espoirs de progrès pour l'Abkhazie : en attendant à qui profite la situation bloquée ? À Vladimir Poutine, à Mikhaïl Saakachvili, aux populations de toutes ethnies d'Abkhazie ou aux populations émigrées depuis 1992 ? Certainement à aucun d'entre eux. Seuls quelques privilégiés en tirent profit : ceux pour qui pouvoir est synonyme d'enrichissement personnel.
Sur la question abkhaze, il semblerait bien que Poutine et Saakachvili n'aient guère mieux fait qu'Eltsine et Chevardnadzé.
Mirian Méloua.
Voir aussi Géorgie : les racines de la crise abkhaze (mars 2004)
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