Ukraine : vers le tournant de 2004 ?
lundi 19 mai 2003
Douze ans après la proclamation de l'indépendance, l'Ukraine se trouve toujours à la charnière de la démocratie et de l'autoritarisme, des modèles européen et "eurasien" de développement.
Ukraine : vers le tournant de 2004 ?
Douze ans après la proclamation de l'indépendance, l'Ukraine se trouve toujours à la charnière de la démocratie et de l'autoritarisme, des modèles européen et "eurasien" de développement.
À la différence d'autres Etats de la CEI, le pays a vu émerger une réelle opposition démocratique, bien représentée au Parlement. En même temps, le régime actuel demeure, à plusieurs égards, un régime autoritaire, notamment, relativement au respect de la liberté de la presse et des droits de l'homme.
Pour beaucoup d'observateurs, les prochaines élections présidentielles (novembre 2004) peuvent constituer un vrai tournant sur le chemin de l'Ukraine vers la démocratie et l'Etat de droit. À la différence des élections de 1991, 1994 et 1999, elles auront lieu dans un paysage politique fortement structuré autour de trois forces distinctes qui incarnent les valeurs et les visions différentes quant au développement du pays : la coalition des forces démocratiques, l'alliance nomenklaturo-oligarchique, la gauche orthodoxe. De toute évidence, le troisième président de l'Ukraine indépendante représentera l'un des deux premiers courants, tandis que le leader des communistes pourra, au mieux, rejouer son rôle d' "épouvantail".
Pour le moment, comme le montrent les derniers sondages du Centre Olexandre Razoumkov, réalisés du 21 au 29 avril 2003, Viktor Iouchtchenko reste le candidat le plus plausible pour occuper le poste de chef de l'Etat ukrainien, suivi par le communiste Petro Symonenko :
"Si les élections présidentielles se déroulent dimanche prochain, pour qui, parmi les candidats suivants voteriez-vous ?"
Candidats éventuels
Viktor Iouchtchenko : 26,1 %
Petro Symonenko : 10,5 %
Viktor Ianoukovytch : 8,1 %
Ioulia Tymochenko : 5,9 %
Natalia Vitrenko : 4,8 %
Viktor Medvedtchouk : 4,5 %
Olexandre Moroz : 3,4 %
Volodymyr Lytvyn : 2,6 %
Serguiy Tyguipko : 2,0 %
Je ne prendrais part au scrutin : 9,5 %
Il est difficile de répondre : 13,7 %
Le sort des élections présidentielles dépendra de trois facteurs clés, jusqu'à présent largement inconnus : l'ampleur de la réforme institutionnelle en cours, les chances de l'opposition démocratique et la capacité des forces pro-présidentielles à se réunir autour d'un seul candidat à la présidence.
L'opposition ukrainienne et le bloc pro-présidentiel s'accordent sur la nécessité d'un rééquilibrage constitutionnel entre l'exécutif et le législatif ukrainien. Pour les premiers, il s'agit de rendre impossible toute dérive autoritaire du pouvoir exécutif, tandis les seconds, faute de disposer d'un candidat plausible face à M. Iouchtchenko, veulent s'assurer que toute la panoplie des vastes prérogatives présidentielles actuelles ne tombe pas dans les mains de ce dernier.
Dans ses conditions, le président Koutchma s'est prononcé, le 24 août 2002, en faveur de la transformation du régime politique ukrainien en "république parlementaro-présidentielle". Son projet de réforme constitutionnelle, soumis à la Rada le 6 mars 2003, prévoit :
la formation d'un gouvernement par la majorité parlementaire
la création d'une Chambre haute et la diminution d'un nombre de députés de la Chambre basse actuelle de 450 à 300 personnes
l'organisation simultanée des élections législatives (avec la prolongation d'un mandat parlementaire d'un an), présidentielles et locales
la possibilité de modifier la Constitution par le biais d'un référendum populaire.
En même temps, le Président souhaite préserver son droit de nommer les ministres de l'Intérieur, de la Défense et des Affaires étrangères ainsi que les chefs des exécutifs locaux et la possibilité de révoquer le Premier ministre. À leur tour, les fractions de l'opposition ("Notre Ukraine", Parti socialiste, Bloc de Tymochenko, Parti communiste) se sont engagées à mener à bien un projet alternatif de réforme prévoyant la préservation d'une seule Chambre des députés, la formation du Gouvernement tout entier à partir de la majorité parlementaire, la nomination des chefs des exécutifs locaux par le Premier ministre ou leur élection sur place. Pour entrer en vigueur, les deux projets de réforme doivent être approuvés par une majorité constitutionnelle de 300 députés, ce qui nécessite la recherche d'un compromis entre la majorité pro-présidentielle et les courants de l'opposition. Le Président Koutchma peut, néanmoins, essayer le passage en force en mettant son projet de réforme au référendum populaire, à l'instar d'une consultation, organisée en avril 2000.
En recentrant la vie politique ukrainienne sur le Parlement, les changements constitutionnels proposés (avec l'adoption, en plus, d'un mode de scrutin entièrement proportionnel aux législatives) pourraient considérablement changer la donne des élections présidentielles. Au lieu de tout miser sur l'élection du Président, les forces politiques ukrainiennes seront obligées de prendre en considération les nouvelles perspectives de la conquête du Parlement en 2006. Cela rendrait plus aléatoire la mise en œuvre d'un scénario selon lequel les forces de l'opposition démocratique et le bloc pro-présidentielmettraient en place, bien en amont, des candidatures uniques en vue de la présidence de 2004. Dans cette optique, les groupes pro-présidentiels rencontreront une plus grande difficulté à présenter un seul candidat, par rapport à l'opposition démocratique qui dispose d'un candidat incontesté, Viktor Iouchtchenko.
En toute probabilité, les présidentielles ukrainiennes de 2004 se joueront entre six ou sept hommes forts de la scène politique actuelle.
Du côté de l'opposition démocratique, la question principale est de savoir si Ioulia Tymochenko et Olexandre Moroz participeront au premier tour de la campagne présidentielle. Selon le meilleur scénario pour Viktor Iouchtchenko, ces leaders de deux principaux partis des anti-koutchmistes convaincus se retireront en faveur de sa candidature bien avant le premier tour des élections, tandis que le chef du Parti communiste Petro Symonenko deviendra son rival au deuxième tour du scrutin.
Du côté des forces pro-présidentielles, l'actuel Premier ministre d'Ukraine, Viktor Ianoukovytch, doit encore convaincre le Président Koutchma de la pertinence de son rôle de dauphin devant d'autres candidats en lice, notamment face à Serguiy Tyguipko, l'actuel chef de la Banque centrale d'Ukraine et originaire de la région de Dnipropetrovsk. En revanche, Viktor Medvedtchouk, le chef de l'Administration présidentielle et leader des sociaux-démocrates unifiés, restera sans doute le gestionnaire principal de la future campagne présidentielle, sans participer directement aux élections.
Pour le moment, les antagonistes principaux se préparent activement à la bataille. Viktor Iouchtchenko tente de moderniser les structures de commande de "Notre Ukraine" et de ses composantes. À cet égard, force est de mentionner l'élection récente de Borys Tarassiuk, l'ancien ministre des Affaires étrangères, à la tête du Roukh, le parti fondateur de la mouvance national-démocrate ukrainienne. De façon plus générale, M. Iouchtchenko n'a pas encore décidé s'il fallait, en vue des élections futures, transformer "Notre Ukraine" en un parti unique ou préserver son caractère actuel d'une vaste coalition des organisations politiques, publiques et syndicales.
Pour sa part, Viktor Ianoukovytch a été élu, au mois d'avril, à la direction d'un puissant Parti des régions d'Ukraine, représentant les groupements politico-financiers de la région de Donetsk. En projetant de devenir la deuxième force politique du Parlement (après sa réunification avec le groupe "Choix européen"), le Parti des Régions d'Ukraine se positionne, ainsi, comme le pilier électoral principal de l'actuel Chef du gouvernement.
Deux scénarios principaux se profilent, donc, à l'horizon politique de l'Ukraine.
Selon le premier, le "parti du pouvoir" réussira, comme c'était le cas en Russie, à imposer au pays son représentant et l'Ukraine sera toujours attachée au modèle "eurasien" de développement, caractérisant les Etats de la CEI.
Dans le cas inverse, l'ancien Premier ministre libéral Viktor Iouchtchenko, en tant que candidat de l'opposition, gagnera l'élection présidentielle et l'Etat ukrainien suivra, enfin, une voie de consolidation démocratique, réalisée par les pays d'Europe centrale et par les Etats baltes.
Volodymyr Poselskyy, doctorant à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris (rattaché au CERI), membre du comité de rédaction de la Lettre du COLISEE.
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