Géorgie : vers une chambre "introuvable" ? (février 2004)
mardi 10 février 2004, par Hervé Collet
La coalition qui a accédé au pouvoir le 23 novembre 2003 avec ce qu'il est maintenant convenu d'appeler "La Révolution des Roses" s'organise, dans une ambiance de fête, mais aussi de travail assidu.
Le 4 janvier, Mikhaïl Saakashvili, un des leaders charismatiques de la nouvelle équipe dirigeante, président du Mouvement national, a été triomphalement élu président de la République avec 96 % des suffrages et une participation électorale de 83 %. Il a pris officiellement ses fonctions le 25 janvier, en présence de nombreux chefs d'État ou de gouvernement. Entretemps, la présidente par intérim, Mme Nino Bourdjanadzé, a fixé la date des prochaines élections législatives au 28 mars, du moins pour une partie du Parlement. La Cour constitutionnelle, en effet, a validé - à la grande surprise des experts constitutionnalistes - les résultats des élections au scrutin d'arrondissement (à deux ou trois cas litigieux près). Il reste 150 députés à élire à la proportionnelle. La classe politique géorgienne se demande s'il y aura d'autres élus en dehors des candidats qui seront présentés par la coalition au pouvoir, sous la houlette de Zourab Zvania, actuel secrétaire d'État (équivalent du poste de premier ministre, dans un système de type présidentiel qui ressemble à celui des Etats-Unis). En effet, le minimum fixé par le code électoral pour obtenir des députés est de 7 %, et la plupart des observateurs doutent que la nouvelle opposition puisse atteindre cette barre fatidique. L'engouement populaire pour le changement de régime est tel que la plupart des élites politiques et économiques qui servaient sous Chevardnadzé se rallient au nouveau pouvoir - du moins celles qui sont les moins compromises, car les autres ont déjà fui à l'étranger, notamment à Moscou. Seules peuvent prétendre approcher le seuil de 7 %, deux formations :
Le Parti "Renaissance" du président d'Adjarie, M. Aslan Abashidzé, dans la mesure où il recueille traditionnellement environ 95 % des votes de cette region autonome grâce à des manœuvres frauduleuses. Il a déjà raflé les 5 sièges de députés élus à la proportionnelle. Mais il n'est pas sûr de pouvoir renouveler cette "performance" le 28 mars si le scrutin est soumis à une surveillance plus ferme de la part du pouvoir central et d'éventuels observateurs internationaux. Il n'a guère d'audience dans le reste de la Géorgie et, fait notable, lors de l'élection présidentielle du 4 janvier, 27 % des électeurs adjars sont allés voter malgré les consignes de boycott du Parti Renaissance, donnant plus de 95 % de leurs suffrages à Saakashvili. De plus, le parti d'Aslan Abashidzé, tout en considérant la "Révolution des Roses " comme un coup d'État, n'entend pas se positionner comme étant "d'opposition"… !
Le Parti des Travaillistes de M. Chalva Natelashvili, par contre, se situe résoluement et radicalement dans l'opposition. Il considère que la démission "forcée" du président Chevardnaze est illégale et que l'équipe au pouvoir est arrivée de façon illégitime. Il a obtenu un score très élevé lors des élections du 2 novembre (probablement autour de 20 % selon les sondages qui se sont efforcés de corriger les résultats officiels truqués). Mais il a perdu une grande partie de son crédit en adoptant une position ambiguë lors de la réunion du Parlement qui a vu la chute de Chevardnadzé (la présence d'un certain nombre de ses députés a permis d'atteindre le quorum, malgré les consignes de boycott de l'opposition). Et surtout, sa position d'opposant résolu, alors l'opinion est dans sa très grande majorité favorable à la coalition au pouvoir, est rédhibitoire. La perspective d'aboutir à un Parlement quasi-monocolore chagrine un peu la classe politique géorgienne, et même au sein de l'équipe au pouvoir, pour des raisons d'image de marque du pays. Certains envisagent d'abaisser le quorum, mais jusqu'où ? L'éparpillement des sièges apparaît tout autant dangereux. D'autres vont même jusqu'à suggérer de présenter deux listes-jumelles pour représenter la coalition au pouvoir. Mais ce serait afficher une division qui, pour le moment, ne correspond à aucune réalité. Les observateurs sont philosophes "Ne vous en faites pas : le Parlement ne sera pas éternellement monocolore. Attendez-donc de voir ce qui se passera dans six mois…".
Des décisions constitutionnelles importantes
Autre singularité de la situation politique géorgienne : en attendant le nouveau Parlement, celui qui était en exercice sous Chevardnadzé continue à siéger. Il vote toutes les mesures présentées par le nouveau pouvoir, à la quasi-unanimité. Par exemple, il a décidé d'adopter, le 14 janvier, un nouveau drapeau national : blanc, portant une grande croix rouge en son centre et quatre petites croix aux angles, il remplace le drapeau adopté par la Georgie lors de la chute de l'Union soviétique. Il était jusqu'alors le symbole du Mouvement national de Mikhail Saakachvili. Mais il avait déjà été celui de la Georgie de 1918 à 1921, après que le pays eut acquis son indépendance de la Russie impériale et avant qu'elle ne soit intégrée de force au sein de l'Union soviétique.
Le Parlement a également adopté à l'unanimité (177 voix), le 6 février 2004, une révision constitutionnelle sur proposition du président Saakashvili. La Constitution révisée dote la Géorgie d'une structure de gouvernement proche des standards européens, avec création d'un poste de premier ministre nommé par le président. Le choix du premier ministre devra être soumis à l'approbation du Parlement, mais une disposition permet au président de passer outre l'avis du pouvoir législatif si son candidat est rejeté trois fois de suite par les députés. Les députés auront, pour leur part, la possibilité de censurer le gouvernement si une motion en ce sens réunit au moins 60 % des voix. Les députés d'opposition avaient initialement rejeté cette révision constitutionnelle, M. Vakhtang Khmaladzé, député libéral, estimant notamment que le président "peut faire tout ce qu'il veut même sans demander l'avis du Parlement". Mais au moment du vote, l'unanimité s'est faite sur le nouveau texte… Hervé Collet.
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