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Géorgie : élections présidentielles du 5 janvier 2008
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jeudi 3 janvier 2008, par Mirian Méloua

A la suite des manifestations de masse qui se sont déroulées début novembre 2007 (1), le président Saakachvili a instauré l'état d'urgence et suspendu l'émission des chaînes de télévision privées (2).

Initialement ces manifestations avaient été suscitées par une dizaine de partis de l'opposition extraparlementaire, ils demandaient l'anticipation des élections législatives. Les préoccupations économiques de la population géorgienne ont vite repris le dessus.

Le président Saakachvili a donc décidé
-  de changer de Premier ministre (3), afin d'accentuer les priorités sociales,
-  de lever l'état d'urgence après quelques jours (4) et de rétablir les autorisations d'émission de télévision privées,
-  d'anticiper l'élection présidentielle au 5 janvier 2008.

Conformément à la Constitution géorgienne, il démissionne de la Présidence de la République le 25 novembre afin de pouvoir se porter candidat.

Pour la deuxième fois, Nino Bourjanadzé (5), présidente du Parlement, est devenue présidente de la République par interim : elle avait déjà occupé cette responsabilité en 2003, après la Révolution des Roses et le départ d'Edouard Chévardnadzé, avant l'élection du nouveau président Mikheïl Saakachvili.

Les candidatures enregistrées sont les suivantes :

-  Mikheil Saakachvili (6), majorité présidentielle sortante. Il avait recueilli plus de 95% des voix à l'élection présidentielle de janvier 2004, dans la foulée de la Révolution des Roses, mais le Mouvement National (Saakachvili) et les Démocrates (Jvania et Bourdjanadzé) n'avaient recueilli que 66% des suffrages aux élections législatives trois mois après.

-  David Gamkrélidzé, opposition parlementaire. Les Nouvelles Droites et les Industrialistes avaient recueilli 7,9% des suffrages aux élections législatives de mars 2004, dépassant de justesse le seuil de 7% permettant d'être représenté au Parlement. Le Parti National Démocrate soutient également cette candidature présidentielle. David Gamkrélidzé est âgé de 43 ans et est le fondateur de la compagnie d'assurances Aldagi, vendue 7, 6 millions de dollars à la Banque de Géorgie en 2007.

-  Lévan Gatchétchiladzé, opposition extraparlementaire réunissant neuf partis. Le Forum National, le Groupe Géorgien, le Mouvement de la Géorgie Unie, Par Nous Mêmes, le Parti Conservateur, le Parti de la Liberté (4,3% aux législatives de mars 2004), le Parti du Peuple, le Parti Républicain, la Voie de la Géorgie avaient été à l'origine des manifestations de début novembre 2007 : ils ont réussi à proposer un candidat commun. Les Verts de Géorgie se sont joints à eux. Salomé Zourabichvili (7) deviendrait Premier ministre en cas de victoire. Le programme repose sur une politique étrangère orientée vers l'OTAN, les Etats-Unis et l'Europe, sur un politique intérieure "plus sociale", sur la constitution d'un régime parlementaire, soit républicain, soit monarchique. Lévan Gatchétchiladzé est âgé de 43 ans et est l'un des fondateurs de la compagnie Georgian Wines and Spirits (il en possède encore 49%, Pernod Ricard 51%). Il a participé à la fondation du Parti des Nouvelles Droites en 2000, s'en séparait fin 2003 pour soutenir la Révolution des Roses et devenait en 2004 député indépendant.

-  Chalva Natélachvili, Parti Travailliste, 6% aux législatives de mars 2004. Agé de 50 ans, professionnel de l'opposition tant sous la présidence Chévardnadzé que sous la présidence Saakachvili, Chalva Natélachvili est renommé pour ses conférences de presse "dithyrambiques" et ses "voltefaces". Le Parti Travailliste participait à l'alliance des partis initiateurs des manifestations de début novembre 2007.

-  Guiorgui Maïssachvili, du Parti du Futur. Il est âgé de 45 ans, diplômé de l'Université américaine d'Harvard et a été responsable du département d'analyse du risque de la compagnie Enron de 1997 à 2001. Il déclarait le 30 novembre qu'il appellerait à voter pour Mikheïl Saakachvili (dont il fut l'allié lors de la Révolution des Roses) en cas de 2ème tour, en particulier pour barrer la route à Badri Paatarkatsichvili.

-  Irina Sarichvili, du Parti de l'Espoir. Elle est agée de 45 ans et est la veuve de l'ancien leader du Parti National Démocrate, Guiorgui Chantouria, assassiné en 1994. Elle fut vice-premier ministre en 1993. Le Parti de l'Espoir, fondé en 2006, est également composé d'anciens membres du Parti de la Justice (dont le leader Igor Guiorgadzé, ancien chef de la sécurité d'Edouard Chévardnadzé, présumé instigateur d'un attentat contre l'ancien président, est réfugié en Russie). Irina Sarichvili est le seul candidat à ne pas soutenir l'adhésion de la Géorgie à l'OTAN.

Badri Patarkatsichvili (8), oligarque russe et milliardaire géorgien, recherché par la justice russe, vivant le plus souvent en Israël et en Grande-Bretagne, est la septième candidature enregistrée. Le 27 décembre, il annonce son retrait suite à la tentative de corruption d'un responsable du ministère de l'Intérieur, Irakli Kodoua, enregistrée et rendue publique (9). Le 3 janvier, il revient sur cette décision et maintient sa candidature, entraînant la démission de son directeur de campagne Giorgui Jvania, frère de l'ancien Premier ministre.

D'autres candidatures ont été refusées par la Commission Centrale des Elections, les 50 000 signatures nécessaires n'étant pas valides, Guiorgui Chévarchidzé et Avtandil Margiani (anciens de l'ère Chévardnadzé) ou des indépendants comme Kartlos Garibachvili, Artchil Ioséliani, Lévan Kidzinidzé et Chalva Kouprachvili.

Eléments d'analyse

Mikheil Saakachvili reste le candidat le mieux placé, pourtant il convient de tenir compte de l'exaspération de la population géorgienne sur le plan économique et sur le plan de la liberté d'opinion.

Si les indicateurs globaux de l'économie géorgienne s'améliorent année après année depuis la Révolution des Roses, les situations individuelles ne semblent pas suivre le même chemin. Les 12 à 13% de croissance s'accompagnent d'une inflation dépassant 11% selon le Fonds Monétaire International, plus de 2 millions de Géorgiens (pratiquement 50% de la population) ont recours aux aides sociales, l'émigration économique vers l'étranger continue, le budget de la défense nationale atteint 27,50% du budget national.

Si la chaîne de télévision privée Rustavi 2 avait "accompagné" la Révolution des Roses, la chaîne Imedi n'a pu "accompagner" la révolution de novembre 2007 : elle a été fermée en novembre par les autorités. Les Géorgiens ont toujours été attentifs à la liberté d'opinion, y compris durant l'ère soviétique : les intimidations de journalistes et les fermetures de chaînes de télévision privée ont desservi l'image de Mikheïl Saakachvili. Ce faux pas, le plus grave en quatre années, pèsera lourd.

Badri Patarkatsichvili a travaillé avec et contre Edouard Chévardnadzé, avec et contre Mikheïl Saakachvili. Sa fortune et sa réussite font rêver les Géorgiens : auraient- ils été prêts à confier les clés de leur pays à un homme d'affaires ayant de tels antécédents ? C'est moins sûr. Son retrait et le parfum de scandale qui l'a entouré, son retour inattendu dans les élections à 48 heures du scrutin ne militent pas en sa faveur.

Lévan Gatchétchiladzé propose de vider la fonction présidentielle de son autoritarisme, et de son autorité. L'établissement d'un régime parlementaire en Géorgie serait un nouveau changement et certainement une source de division entre les neufs partis concernés : ils penchent parfois pour une république parlementaire, parfois pour une monarchie constitutionnelle. L'homme est honnête et respectable, son "ticket" avec Salomé Zourabichvili donne une visibilité internationale à la démarche. Il n'est pas certain que la population géorgienne comprenne et suive.

Chalva Natélachvili mérite un siège au Parlement, David Gamkrélidzé le possède déjà. Ils représentent des intérêts, et des catégories d'électeurs, opposants et opposés.

Une victoire par défaut de Mikheïl Saakachvili semble aujourd'hui la plus probable, même si les sondages prévoient un 2ème tour (10).

Notes

-  (1) Géorgie : plusieurs dizaines de milliers de personnes manifestent contre Mikheïl Saakachvili (novembre 2007)

-  (2) Géorgie : instauration de l'état d'urgence (7 novembre 2007)

-  (3) Géorgie : Lado Gourguénidzé est nommé Premier ministre, en remplacement de Zourab Nogaïdéli (novembre 2007)

-  (4) Géorgie : fin de l'état d'urgence (16 novembre 2007)

-  (5) Géorgie : Nino Bourdjanadzé, ancienne présidente du Parlement

-  (6) Géorgie : Mikheïl Saakachvili, président de la République

-  (7) France, Géorgie et France : Salomé Zourabichvili, ancienne ministre géorgienne

-  (8) Géorgie, Russie et Grande-Bretagne : Badri Patarkatsichvili, oligarque (1955-2008)

-  (9) Badri Patarkatsichvili est propriétaire de la chaîne de télévision privée d'opposition IMEDI, fermée en novembre pour "avoir appelé au renversement du pouvoir politique en place", ré-ouverte le 12 décembre après médiation européenne et suspendue à nouveau le 26 décembre par la direction et les journalistes eux-mêmes, "soucieux de ne pas être mêlés aux jeux politiques".

-  (10) Deux sondages ont été publiés à mi-décembre, sans que leur crédibilité technique puisse en être vérifiée :

* BCG Research pour 13 000 sondés dans toute la Géorgie : 36,7% pour Saakachvili, 9,7% pour Gatchétchiladzé, 4,7% pour Patarkatsichvili, 3% pour Gamkrélidzé, 2,5% pour Natélachvili, moins de 1% pour Maisachvili et Sarichvili, avec 29,5% d'indécis,

*ACT Research pour 1500 sondés : 41% pour Saakachvili, 11,1% pour Gatchétchiladzé, 6,5% pour Patarkatsichvili, 3,5% pour Natélachvili, 2,1% pour Gamkrélidzé, moins de 1% pour Maisachvili et Sarichvili, avec 20,6% d'indécis.


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