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V) Les émigrations géorgiennes vers la France : années 1940
http://www.colisee.org/article.php?id_article=3620lundi 25 juin 2012, par Mirian Méloua Cinquième partie du Dossier : les émigrations géorgiennes vers la France au XXème et au XXIème siècles (2012).
Les années 1940 sont douloureuses pour tous les peuples d'Europe, plus particulièrement pour la communauté juive de l'émigration géorgienne en France, pour les soldats géorgiens de l'Armée rouge et pour ceux d'entre eux qui seront volontaires au retour en Géorgie.
La communauté juive géorgienne en France et la IIème guerre mondialeDès octobre 1940, Evguéni Guéguétchkori est alerté du danger qui menace les juifs par Adrien Marquet, ministre du maréchal Pétain (ancien membre de la SFIO et de la délégation socialiste qui avait visité la Géorgie en 1919). L'exemption de la mention « juif » sur les cartes d'identité des juifs géorgiens est obtenue auprès des autorités allemandes, en particulier grâce à l'intervention de Michel Kédia, un émigré géorgien germanophone et germanophile. Un comité est chargé de s'assurer de l'authenticité des papiers géorgiens. Sacha Korkia (initialement émigré en Allemagne), Sossipatré Assathiany et Joseph Eligoulachvili (patriarche de la communauté juive géorgienne en France) en sont membres. Ce comité sauve deux cent cinquante familles géorgiennes et non-géorgiennes (un millier de personnes) : ils n'hésitent pas à « géorgianiser » des noms d'Asie centrale ou des Balkans, et à venir ainsi en aide à des juifs d'autres nationalités. Fin 1943, la politique allemande vis-à-vis des juifs géorgiens change : la clandestinité devient le seul moyen d'échapper à la déportation. Voir :
Les émigrés géorgiens en France, la IIème guerre mondiale : le combat contre l'occupant naziDes militaires de carrière, engagés dans la Légion étrangère,
combattent dès les premières heures contre l'Allemagne. Voir :
En avril 1940, l'Etat major français décide de former une « Unité géorgienne » composée de soldats de métiers, de volontaires et de mobilisés d'origine géorgienne : elle sera parachutée dans la Caucase . Elle est confiée au chef de bataillon Georges Odichélidzé issu du 2ème REI et réunit à Barcarès de 160 à 180 hommes. Sans pouvoir tous les citer, en font partie B. Barkalaïa et E. Abouladze par exemple. l'unité n'a pas le temps de combattre. De 1940 à 1944, des émigrés géorgiens rejoignent la Légion étrangère française (Akhaz Andronikachvili, Georges et Othar Djakeli, Othar Tchiabrichvili, Achille Tsitsichvili de Panaskhet entre autres) : ils combattent et sont parfois faits prisonniers de guerre par les Allemands (Alexandre Méliava en particulier). Au total plusieurs centaines de soldats d'origine géorgienne combattent aux côtés des Alliés. D'autres s'enrôlent dans les maquis (Georges Guazava FFI, Alexandre Meliava FFI, Serge Tsouladzé FTP), se livrent à l'action urbaine clandestine (Chalva Abdoucheli et Georges Lomadzé) ou cachent des personnes en danger (Père Elie Mélia). Au final, des militaires géorgiens participent aux campagnes d'Extrême-Orient, du Moyen-Orient, d'Afrique du Nord, de France ou d'Allemagne, des civils géorgiens participent à des actions de résistance parfois au coude à coude avec des résistants communistes : ils apportent leur part -et parfois leur vie comme le Lieutenant-colonel Dimitri Amilakvari- à la libération de la France. Voir :
Les émigrés en France, la IIème guerre mondiale : l'espoir de libération de la Géorgie de l'occupation soviétiqueEn 1941, la rupture de l'alliance entre Staline et Hitler pose un cas de conscience à certains Géorgiens vivant en France : faut-il collaborer avec le régime nazi pour libérer la Géorgie de l'occupation soviétique ? Une majorité de chefs de file politiques répond par la négative. Dans les faits, une centaine d"émigrés géorgiens en France (sur les deux à trois mille personnes recensées) rejoignent la Légion géorgienne, section des « Osttruppen » au sein de la « Wehrmacht » (troupes de l'Est de l'armée régulière). Voir :
Ils oeuvrent pour l'essentiel dans la 5éme compagnie d'une unité spéciale, la « Sonderverband Bergmann », appartenant à l'« Abwehr » (le service de renseignements militaires allemand). Les effectifs de cette compagnie reçoivent leur formation à Neuhammer, puis à Mittenwald en prévision des conditions climatiques de haute montagne. Ils ont pour mission l'information, le sabotage et la création des conditions de séparation du Caucase de l'URSS. L'unité « Tamara » est entraînée au déclenchement de rebellions. En juin 1942, la « Sonderverband Bergmann » participe à l'invasion du Nord Caucase avec la 29ème Division blindée allemande. En septembre, des groupes sont parachutés en Tchétchénie. Plusieurs missions sont réalisées sur le territoire géorgien. En octobre, les Géorgiens se livrent à de rudes combats à Naltchik (Kabardino-Balkarie) contre l'Armée rouge. En décembre, les blindés allemands se retirent afin de ne pas se couper du reste de l'armée allemande. La « Sonderverband Bergmann » assure la retraite à l'arrière-garde et gagne la Crimée en février 1943. Après une mutinerie, attribuée aux services secrets soviétiques, une douzaine d'exécutions est prononcée. Fin 1943, les « Osttruppen » sont dissoutes, la « Sonderverband Bergmann » éclate en 3 bataillons : géorgien, azéri et nord caucasien. Le bataillon géorgien est d'abord affecté en Roumanie : les émigrés des années 1920 venus de France, survivants, sont pour la plupart rendus à la vie civile, non sans difficulté. En 1945, sur intervention du général Koenig, la justice française considère « qu'ils ne sont pas rendu coupables de trahison ne s'étant pas battu contre leur propre camp ».
Les émigrés en France, collaborant avec les forces allemandes d'occupationLe cas de Chalva Odicharia reste une exception. Né en Géorgie en 1903, réfugié en France durant les années 1920, voyageant entre Paris et Berlin durant les années 1930 (selon les archives de l'Office des réfugiés géorgiens en France), décrit comme un aventurier, il se range du côté allemand en 1940. Il dirige un groupe composé de personnalités au passé douteux de toutes nationalités (dont des droits communs), au service de la police politique allemande (la Gestapo) et de la police militaire allemande. Ce groupe, basé d'abord rue de Londres, puis rue de Varennes, à Paris, est parfois surnommé « la Gestapo géorgienne ». En juillet 1945, après un procès, ceux qui ont échappé aux représailles sommaires de 1944, seront exécutés à leur tour : Chalva Odicharia aurait réussi à gagner l'Allemagne et à disparaître. D'autres cas personnels sont connus, comme celui d'un émigré géorgien résidant à Bordeaux, francophone et germanophone, servant d'interprète et de traducteur à la Préfecture, mis à la disposition des autorités d'occupation, arrêté dès les premières heures de libération et disparu définitivement.
Les anciens de l'Armée rouge, du front Est au front OuestA partir de 1941, plusieurs centaines de milliers de jeunes Géorgiens combattent en première ligne de l'Armée rouge : certains sont faits prisonniers par l'armée allemande. Plusieurs milliers s'enrôlent au sein de la Légion géorgienne pour échapper aux camps et sauver leur vie, avec l'espoir de libérer la Géorgie du régime soviétique. En 1943 / 1944, après l'échec sur le front Est, l'Etat Major allemand affecte quatre bataillons géorgiens en Normandie et en Bretagne afin de défendre le Mur Atlantique (795e, 797e, 798e et 823e), trois dans le Centre Ouest afin de combattre la Résistance (799e, I/9 et II/4) et des plus petites unités dans le Nord. Les deux premiers bataillons sont décimés par les armées alliées : les survivants se rendent aux Américains. Des sections du 798e bataillon désertent en Bretagne ; deux compagnies combattent la Résistance ; deux autres compagnies parviennent à regagner l'Allemagne fin 1944. Le 823e se rend aux Britanniques dans les îles anglo-normandes. Le 799e participe dans le Périgord aux combats contre la Résistance au sein de la « Division Brehmer ». Plusieurs sections désertent entre décembre 1943 et août 1944 pour rejoindre les maquis dans la région de Périgueux. Les bataillons I/9 et le II/4, intégrés au FSR 1 rendent les armes en Ardèche, le 30 août 1944 : une section a auparavant déserté et combattu avec les FTP pour la libération de Carmaux et d'Albi. Une photographie prise à Toulouse en mai 1945 permet de dénombrer 300 soldats géorgiens venus des maquis de Corrèze, de Dordogne et du Tarn. Le plus célèbre d'entre eux est le commandant Vania, Vakhtang Sekhniachvili. Les anciens soldats de l'Armée rouge (100 000 environ, de toutes nationalités), qu'ils aient survécu dans les rangs allemands lors des combats contre les armées alliées ou contre la Résistance, ou rejoint cette dernière durant les derniers mois, transitent par des camps de regroupement sur le territoire français (placés sous autorité soviétique). L'ordre y est difficilement maintenu et des exactions sont commises sur la population civile avoisinante. Selon une clause des accords de Yalta, ils sont tous renvoyés en URSS, entre la mi-1945 et 1947 : ils connaîtront au mieux les travaux forcés, au pire la déportation et la mort. Parmi les quelques milliers de soldats géorgiens dans ce cas, plusieurs centaines échappent à ce sort. Des anonymes, à Paris (comme Michel Tsagarelli dans son restaurant parisien), en Ile-de-France (à proximité de Leuville-sur-Orge) ou en province (comme à Bellac), en cachent malgré les services secrets soviétiques militaires (Smersh) qui cherchent à les localiser sur le territoire français ; certains gagnent le continent américain ; d'autres rejoignent la Légion étrangère française (et combattront en Indochine comme Pétré Kvédélidzé) ; les derniers obtiennent une autorisation de résidence en France et s'y installent. Pierre Kitiaschvili en écrira plus tard l'épopée dans son livre « Du Caucase à l'Atlantique ». Charles Yachvili donnera naissance à une lignée de rugbymen internationaux français. Jora Assathiany contribuera à l'enseignement de la langue géorgienne à l'INALCO. Les « nouveaux » émigrés qui se joignent aux « anciens » émigrés redonnent de la vitalité aux traditions. Ils imprègnent un peu plus les jeunes générations nées en France de danses (comme Chota Abachidzé) et de chants géorgiens. Ils radicalisent aussi un peu plus l'opposition au régime soviétique. Voir :
Un épisode controverséUn entretien secret aurait eu lieu en 1946, à Genève, entre Evguéni Guéguétchkori (ancien ministre des Affaires étrangères, numéro deux « de facto » du gouvernement géorgien en exil en France depuis 25 ans) et Lavrenti Béria (ministre de l'Intérieur de l'URSS). Si cet entretien s'est réellement tenu, sur quoi portait-il ? Sur les liens familiaux les unissant (le second a épousé la nièce du premier) ? Sur l'hypothèse du ralliement au régime soviétique d'une partie de l'émigration géorgienne, selon le souhait exprimé et réitéré par Staline (au nom de l'alliance nouée lors de la lutte contre l'Allemagne nazie) ? Sur la préparation de la période post-stalinienne (selon certains historiens, Béria -qui se considère comme le dauphin de Staline- a en tête de remplacer l'URSS par une fédération d'Etats indépendants et d'abandonner l'idéologie communiste) ? Si cet entretien ne s'est pas tenu, il convient de mentionner pourquoi une telle légende a pu naître. Durant trois décennies, deux Soviétiques de haut rang, d'origine géorgienne, Staline et Béria, multiplient les tentatives d'infiltration de l'émigration en France : ils donnent l'impression -justifiée ou non- qu'ils gardent le contact avec leurs compatriotes exilés au prétexte de déjouer leurs plans. En réalité, ils favorisent une certaine suspicion entre émigrés, accentuent leurs divisions et décrédibilisent leurs prises de position. Retour à Dossier : les émigrations géorgiennes vers la France au XXème et au XXIème siècles (2012). [ Accueil ] [ Retour à l'article ] [ Haut ] |
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