Ukraine : la portée historique de l'élection présidentielle d'octobre 2004
mercredi 15 septembre 2004
La situation est plutôt tendue, en Ukraine, à un mois de l'élection présidentielle, dont le premier tour se tiendra le 21 octobre prochain. Ce scrutin intéresse au plus haut point Moscou qui soutient Viktor Yanoukovitch, le dauphin du président en exercice. D'aucuns expliquent cet engagement par les options "pro russes" de ce dernier, alors que son rival, Viktor Youchtchenko, est perçu comme "pro occidental". C'est une explication insuffisante, affirme le politologue Dmitri Fourman, qui voit plutôt se dessiner, en cas de victoire de Youchtchenko, un système de type occidental, fondé sur l'alternance politique.
En prévision de l'élection présidentielle d'octobre, l'Ukraine vit une atmosphère de bruits et d'angoisses, attisée par les déclarations émanant des structures de force selon lesquelles celles-ci n'admettront pas de déstabilisation. Ce qui, à leur tour, renforce les peurs.
En tout état de cause, comparée au climat qui prévaut en Russie à la veille de toute élection présidentielle, la situation en Ukraine est de loin plus tendue. Et cela est normal car, en Russie, le bilan du scrutin est prévisible : invariablement, l'élection est remportée par le président sortant. Or en Ukraine, aujourd'hui, la victoire de l'opposition est fort probable.
Le problème est ailleurs : les prochaines élections ukrainiennes provoquent en Russie plus d'émotions qu'il ne se doit car, tout compte fait, elles auront lieu dans un pays étranger, aussi proche qu'il soit. Mais l'engagement de Moscou dans la campagne du côté de Viktor Yanoukovitch, désigné par Leonid Koutchma comme son héritier, est tellement important que la Russie a même accepté des pertes économiques directes, en mesure toutefois de gagner de nouveaux électeurs à la cause du premier ministre ukrainien en place. Au cours de la récente rencontre à Sotchi à la mi-août entre Vladimir Poutine et Leonid Koutchma, qui s'est déroulée en présence du "dauphin", le président russe a fait à Kiev un impressionnant cadeau d'un coût de 800 millions de dollars. Ce sera la TVA annuelle sur les livraisons russes de pétrole et de gaz qui restera désormais dans le budget ukrainien.
A Moscou, on explique ce soutien à Yanoukovitch par le fait qu'il est un candidat prorusse, alors que son rival principal, le leader de l'opposition Viktor Youchtchenko, y est vu comme un candidat pro-occidental : en cas de victoire de ce dernier, l'Ukraine "partira". Explication vraie et fausse à la fois. Fausse, parce qu'en Ukraine, la lutte n'est pas menée au niveau de l'orientation de politique extérieure car, entre Yanoukovitch et Youchtchenko, il n'y a pas, au fond, de différences fondamentales en la matière. Si les élections sont remportées par le chef du gouvernement en place, son premier geste sera de venir à Washington où, tout comme son prédécesseur Leonid Koutchma, il dira que l'intégration ukrainienne dans l'Union européenne et l'OTAN a été et reste l'objectif stratégique de Kiev. En cas de victoire de Youchtchenko, son premier voyage étranger pourrait bien être à Moscou. Aucune "grande lutte" entre l'Occident et la Russie ne se déroule pas sur les étendues de la CEI. Pourtant, l'Ukraine "partira" en cas de victoire de Youchtchenko. Elle "partira" non à la cause de la victoire de la ligne pro-occidentale, mais en raison de l'affirmation en Ukraine d'un système politique de type européen et occidental, et non russe ou "façon CEI". La portée historique du prochain scrutin ukrainien s'explique donc non pas par la possibilité de la victoire d'un candidat pro-occidental mais bien par la possibilité de la victoire de l'opposition. Et aussi par le fait qu'il s'agira déjà d'une deuxième victoire électorale de l'opposition en Ukraine. Cela signifiera qu'un système politique qui consacre la rotation du pouvoir s'est affermi en Ukraine. Voilà qui effraie l'élite au pouvoir en Russie. C'est cela, et non un penchant "pro-occidental" de Youchtchenko, qui rendra l'intégration de l'Ukraine dans les structures occidentales possible et même inévitable et portera un coup dur à la CEI.
Dmitri Fourman, politologue / Ria-Novosti - 8 septembre 2004
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