Charles Takaichvili (1932-1998), témoin du massacre de Tbilissi (9 avril 1989)
mardi 14 février 2012, par Mirian Méloua
L'enfance, les études, le service militaire, le mariage
Charles Takaichvili est né le 12 juin 1932 à Leuville sur-Orge (à l'époque en Seine-et-Oise) de Tamara Kakhéladzé et d'Ilia Takaichvili, émigrés en France dans les années 1920, dans une fraterie de trois enfants où il est le puîné.
Sa grand-mère Sona est la soeur de Mariam Ramichvili, l'épouse du président du gouvernement de la Ière république de Géorgie (1) : à ce titre, il se sentira proche de l'obédience sociale démocrate.
Après des études primaires dans le canton d'Arpajon, il suit sa famille à Paris et obtient le baccalauréat au lycée Michelet. Il entreprend ensuite des études mathématiques à l'université et en sort avec une licence.
Durant les années 1950, il est appelé au service militaire en Algérie. Comme tous les jeunes Français d'origine géorgienne dans ce cas, il fait nommément l'objet de critiques de la part des autorités soviétiques.
En 1962, il se marie avec Marie-Chritine Decottignies : ils auront quatre enfants, Stéphane en 1964, Guillaume en 1965, Cécile en 1969 et Agnès en 1971.
La vie professionnelle
Il s'oriente d'abord vers le métier de professeur de mathématiques (Lycée Hoche de Versailles), avant de rejoindre la Compagnie Bull qui le forme aux techniques informatiques et aux techniques commerciales : il prend rapidement la voie du management et devient chef de Département, à Reims notamment.
Il rejoint Fenwick France et y prend la responsabilité de la direction informatique.
En 1988, il fonde sa propre société de services informatiques, prestations de développement, d'installation et de maintenance de logiciels, prestations techniques, conseils , etc ...
La cause géorgienne
Il appartient à la première génération d'origine géorgienne, née en France et il est un facteur d'intégration de ses parents et de ses grands parents.
Les années d'insouciance à Leuville
Parmi cette génération, Gogui Charachidzé, le futur linguiste, est l'un de ses compagnons, Gogui Akhvlédiani, le futur garde du corps du général de Gaulle, en est un autre ... en particulier lors des frasques opérées auprès d'Isidore Karséladzé, son parrain et linotypiste au Château de Leuville ... "contraint de cacher son eau-de-vie de campagne à une bande de gaillards décidés à démontrer qu'elle tient bien à l'alcool !".
Le témoin du massacre de Tbilissi
Le 9 avril 1989, il est à Tbilissi, rendant visite à des parents géorgiens. Il assiste à une manifestation pacifique réprimée par les soldats de l'Armée rouge (2).
Le 22 avril 1989, il est interviewé à la télévision française Antenne 2, interview encore en ligne à l'INA :
http://www.ina.fr/economie-et-socie....
"Après la répression violente de la manifestation nationaliste en Georgie, un mathématicien témoigne et affirme que des gaz toxiques ont bien été utilisés contre les manifestants, le 9 avril dernier. Chalico Takaichvili, était présent en Georgie et raconte en français :
"Il y avait une centaine de soldats, et leur première action a été de tuer un homme aux cheveux blancs qui était à coté de moi, d'autres ont commencé à faire du bruit, casser des pare-brises, pour impressionner et pour s'impressionner eux mêmes. Ils étaient armés de pelles et de matraques, ils avaient peur et ils étaient exités, ils avaient reçu la consigne de terroriser les gens. Ils se sont attaqués aux plus faibles, les femmes, les personnes âgées, c'est pourquoi il y a tant de victimes parmi cette partie de la population, ils ont blessé les jeunes gens ou les miliciens qui portaient secours aux victimes." (3)
Une disparition précoce
Il meurt à 66 ans, le 29 octobre 1998, à Vernon, et repose au « carré géorgien » du cimetière communal de Leuville, auprès de ses grands-parents Sona et Datiko, de ses parents Tamara et Ilia, et de sa soeur Ethery.
Homme de contact, d'entregent et de conviction, il a porté toute sa vie le message de la culture et de la souveraineté géorgiennes auprès de ses interlocuteurs.
Notes
(1) Son grand-oncle par alliance, Noé Ramichvili est élu à Tbilissi en 1918 premier Président du gouvernement de la Ière république de Géorgie : il est assassiné à Paris en 1930 par un agent manipulé par les autorités soviétiques.
(2) Le 8 avril au soir, le Patriarche de l'Eglise de Géorgie, Ilia II, demande aux manifestants de quitter l'avenue Roustavéli. Le 9 avril au petit matin, le général Igor Rodionov, commandant du district militaire de Transcaucasie, donne l'ordre aux véhicules blindés de prendre position dans les rues adjacentes à l'avenue. Puis, invoquant les jets de pierre lancés sur les soldats par les manifestants, il donne l'ordre aux troupes d'infanterie de disperser la manifestation par "tous moyens nécessaires".
(3) L'autopsie des 19 victimes, dont 17 femmes, conclut à des morts par inhalation de substance chimique. Les centaines de blessés le seront également par gaz, mais aussi par coups de pelles. Le 10 avril 1989, un grève générale éclate en Géorgie et 40 jours de deuil sont décidés : il est probable que ces évènements ont accéléré le réveil national géorgien et cristallisé l'opposition au régime soviétique. Mikhaïl Gorbatchev confie une Commission d'enquête à Anatoly Sobchak : elle ne sera suivie d'aucune condamnation officielle, ni pour usage de gaz toxique, ni pour usage excessif de la force. Le général Igor Rodionov changera d'affectation.
Sources : archives familiales.
Remerciements à Marie-Christine Takaichvili, son épouse, à Guillaume, son fils, et à Noutsa Gordéladzé, sa soeur.
Voir aussi :
Géorgie et France : Noé Ramichvili (1881-1930), président du 1er gouvernement de la Ière République
Gogui Akhvlédiani (1933-1998), dit Georges Diani, garde du corps du général de Gaulle, d'origine géorgienne
Georges Charachidzé (1930-2010), linguiste et historien du Caucase, d'origine géorgienne.
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