Nicolas Tchavtchavadzé, chef de service de presse, d'origine géorgienne
vendredi 12 avril 2013, par Mirian Méloua
Que fait donc en ce mois d'août 1961, ce jeune homme français, habillé à l'occidentale, sur le quai d'une gare moscovite ? Il semble regarder les babouchkas et les employés à casquette des chemins de fer soviétiques, mais en réalité il ne les voit pas. Il se demande comment sera le visage du voyageur attendu, après quatorze années de séparation, dont un voyage par bateau de Marseille à Batoumi, une fausse dénonciation et une arrestation par le NKVD, les prisons staliniennes et huit années de goulag ? « L'Etoile rouge » de Leningrad entre en gare. Sa course se ralentit doucement, les roues crissent sur les rails et renvoient des bruits métalliques, mais il ne les entend pas. Il redresse la tête, son cœur bat à la chamade. Soudain, il voit apparaitre le visage de son père derrière la vitre du wagon. Pour la dernière fois de sa vie, le prince Nicolas passera quelques jours avec le prince Michel.
Petite enfance à Saint Briac, Paris, Moulins et Berlin
Nicolas, que l'on appelle communément Nico, naît de Lioubov Hvolson (1) et de Michel Tchavtchavadzé (2), le 3 septembre 1933, à Saint Briac, en Ille-et-Vilaine, lieu d'habitation du grand-duc Cyrille, cousin germain de Nicolas II et époux de Victoria, une petite-fille de la reine Victoria : son père est chargé de mission auprès du grand-duc. Il a pour marraine la grande-duchesse Victoria et pour parrain son fils Vladimir (3).
A la fin des années 1930, ses parents se séparent.
En 1942, il accompagne sa mère et sa sœur Irène à Moulins, dans l'Allier, en bordure de la zone libre, pour rejoindre sa tante, la comtesse Adam de Bennigsen, née Hvolson : cette dernière se livre, avec la sœur de Georges Bidault (4), à un jeu curieux, « faire passer les parachutistes anglais de l'autre côté de la ligne de démarcation ».
Nicolas baigne dans la culture russe, en famille, chez les amis et auprès de la cathédrale Saint Alexandre Nevsky de Paris. Il s'initie spontanément à la musique et joue du piano sans connaître le solfège.
En 1946, il part pour Berlin avec sa mère et sa sœur Irène (devenue interprète à la Conférence interalliée) ; il y fréquente le lycée français jusqu'au blocus de Berlin organisé à l'initiative de Staline.
Les études
A la rentrée 1948, il est pensionnaire au collège jésuite Saint-Georges de Meudon, où la religion se pratique selon le rite oriental : il devient un temps chef du chœur des élèves. Il rejoint ensuite le lycée Janson-de-Sailly et obtient un bac philo avec mention, ce qui lui permet d'intégrer directement Sciences Po. Il en sort en 1956. En parallèle, il s'inscrit à la Faculté de lettres de la Sorbonne et obtient une Licence (avec deux certificats de russe, un de sociologie et un d'histoire moderne et contemporaine). Il complète ses études par un séjour linguistique d'une année à Londres, ajoutant ainsi à sa connaissance du russe et du français, celle de l'anglais. Plus tard, il suivra les cours de géorgien de Georges Charachidzé (5) aux Langues Orientales.
La vie professionnelle
Sa vie professionnelle tourne autour du journalisme et des relations publiques. De 1959 à 1965, il travaille à l'Associated Press et à l'ORTF. De 1965 à 1968, il rejoint l'Office Français des Relations publiques (OREL), puis poursuit sa carrière dans les relations presse et les relations extérieures dans le domaine de l'industrie informatique. De 1965 à 1995, il assume les responsabilités de chef de service, de chef de département et de chef de division avec Honeywell-France, CII Honeywell Bull et Bull.
Début 1965, journaliste à l'ORTF en langue russe, il est devant une décision difficile à prendre lorsqu'un poste lui est proposé à Moscou. Afin de ne pas aggraver la situation de son père, retourné en Union soviétique, il décline.
Il rencontre un autre temps fort durant sa vie professionnelle, lors du lancement de la première opération d'estimation électorale "Honeywell" avec RTL pour le référendum du 27 avril 1969 : le résultat est annoncé sur les ondes à 20h00 à 3 centièmes près ! Il renouvelle ensuite ce type d'opération durant de nombreuses années, cette fois avec Antenne 2.
Parallèlement, il contribue aux annonces pour les médias tant techniques -hardware (DPS/8, DPS/7, Mini/6,..) et software (GCOS/8, GCOS/7, GCOS/6, …)- qu'institutionnelles comme la fusion CII-HB.
La géorgianité
Bien que son père Michel se soit tenu éloigné de l'émigration géorgienne en France (il était en désaccord avec les sociaux-démocrates), Nicolas s'éveille progressivement à une certaine « géorgianité ».
D'abord auprès des cercles russes que l'origine de son nom interpelle, ensuite auprès des Géorgiens qui fréquentent ces cercles comme la famille Tchkheïdzé, comme Constantin Andronikof (de son vrai nom Andronikachvili) (6) ou comme Victor Homériki (7), certainement aussi par la musique (Spiridon Tchavtchavadzé lui montre comment jouer au piano les danses montagnardes de Géorgie).
A la fin des années 1950, il fréquente les élèves du maître de danses géorgiennes Chota Abachidzé et en apprend la pratique. Il devient l'accompagnateur attitré des frères Alexis et Gougou Kobakhidzé. Il se produit avec eux aux soirées de la communauté géorgienne à Paris, organisées au Cercle militaire de Saint Augustin, notamment pour la fête nationale du 26 mai. Il fait la connaissance de sa future femme, Nelly Homériki, fille de Victor.
La rencontre avec le Père Mélia (8), archiprêtre de la paroisse Sainte Nino de Paris, constitue un facteur supplémentaire de géorgianité. De lecteur et sous-diacre à la cathédrale orthodoxe de la rue Daru, Nicolas Tchavtchavadzé devient un fidèle de l'église Sainte Nino. En 1980, il fait partie de la délégation qui accueille le Patriarche de l'Eglise orthodoxe de Géorgie, Ilia II. Il renoue ce contact à chacun de ses voyages en Géorgie ou lors des visites d'Ilia II en France.
Enfin à la demande de l'Ordo Nobilitatis, il écrit un chapitre de la publication « L'Ordre de la Noblesse » éditée par Jean de Bonnot, retraçant les origines et l'historique de la noblesse de Géorgie.
La vie privée
En 1963, il épouse Nelly Homeriki. Ils auront trois enfants, Aniko en 1964 (9), Elisso en 1966 (10) et Micha en 1968 (11).
Quelque part, en URSS, au début des années 1960, en pleine guerre froide, malgré l'interdiction, des jeunes gens écoutent les émissions de l'ORTF sur ondes courtes. Un journaliste français y parle de la musique contemporaine, du jazz et même d'autres choses. Il s'appelle Michel Nico. Ils n'auraient jamais voulu croire qu'il s'agissait du prince Nicolas Tchavtchavadzé, porteur de samizdats à l'occasion.
Notes
(1) Lioubov Hvolson, russe d'origine suédoise, réfugiée à Soukhoumi, puis à Constantinople, après la révolution de Saint-Pétersbourg de 1917, rencontre le jeune Michel Tchavtchavadzé au Consulat russe et l'épouse. Ils auront deux enfants, Irène en 1924 et Nicolas en 1933.
(2) Géorgie, France et URSS : le prince Michel Tchavtchavadzé (1898-1965).
(3) Vladimir, fils du grand-duc Cyrille et de la grande-duchesse Victoria, épousera la princesse Léonida Bagration de Moukhrani.
(4) Georges Bidault (1899-1983) devient à la mort tragique de Jean Moulin le président du Conseil national de la Résistance. Il sera ensuite nommé à plusieurs reprises, sous la IVème République, ministre des Affaires étrangères et Président du Conseil.
(5) Georges Charachidzé (1930-2010), linguiste et historien du Caucase, d'origine géorgienne
(6) Constantin Andronikachvili (1916-1997), dit Andronikof, interprète du général de Gaulle, d'origine géorgienne.
(7) Victor Homériki (1910-1994), ancien président de l'Association géorgienne en France.
(8) Géorgie et France : le Père Elie Mélia (1915-1988).
(9) Anne Tchavtchavadzé, dite Aniko, est mère de deux filles, Anastasia et Maroussia.
(10) Elisso Tchavtchavadzé est mère de deux filles, Mariam et Cécilia. Elle est membre du Comité directeur de l'Association géorgienne en France.
(11) Michel Tchavtchavadzé est décédé en 2003, à l'âge de 35 ans. Il a laissé une fille, Anne.
Remerciements à Nicolas Tchavtchavadzé.
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