La Serbie à la croisée des chemins (2003)
lundi 14 avril 2003, par Hervé Collet
La Serbie à la croisée des chemins
Le 8 décembre 2002 a vu se dérouler en vain un nouveau tour de l'élection présidentielle serbe. Pourtant, après l'invalidation du second tour du 13 octobre dernier, le Président fédéral Vojislav Kostunica et le Premier ministre de Serbie Zoran Djindjic s'étaient mis d'accord pour résoudre la crise politique et normaliser leurs relations. Les quarante-cinq députés du Parti démocratique de Serbie exclus du Parlement le 7 juin dernier avaient été réintégrés au sein de la coalition de l'Opposition démocratique de Serbie. Zoran Djindjic s'était dit prêt à soutenir la candidature de Vojislav Kostunica à l'élection présidentielle si un accord était trouvé sur les réformes. Le 11 novembre, Miroljub Labus, vice-Premier ministre du gouvernement fédéral et proche de Zoran Djindjic, qui avait obtenu 31,05 % des voix lors au tour précédent, avait même annoncé qu'il renonçait à participer à l'élection présidentielle de Serbie. Mais tous ces efforts n'ont pas réussi à mobiliser les électeurs, et comme la barre fatidique des 50 % de participation électorale n'a pas été franchie, le scrutin du 8 décembre a été invalidé. Et pourtant, Vojislav Kostunica a obtenu la majorité des suffrages face à ses deux adversaires, deux ultranationalistes : Borislav Pelevic, leader du Parti de l'unité serbe (SSJ), et surtout Vojislav Seselj, président du Parti radical (SRS), qui a dépassé 33 % des voix, du jamais-vu en Serbie.
Plusieurs facteurs expliquent ce résultat :
Vojislav Kostunica et son parti, le DSS, ont dénoncé l'absence de révision des listes électorales : beaucoup de doubles inscriptions ou de décès n'auraient pas été pris en compte.
Un nombre important d'électeurs ont voulu marquer leur mécontentement face à la lenteur ou à l'absence de réformes. Certains d'entre eux ont émis un vote de protestation en votant pour l'opposition ultranationaliste. D'autres ont préféré s'abstenir.
Mais la principale explication de la faible participation tient probablement dans le boycott du scrutin par une fraction des partisans de Zoran Djindjic et de la DOS - ou du moins de ce qu'il en reste, car une partie de la coalition au pouvoir a rejoint Kostunica ou s'apprête à le faire.
Une guerre "fratricide" qui coûte cher au pays
En fait, la rivalité entre les deux grands leaders de la coalition qui a fait chuter Milosevic a commencé dès l'arrivée au pouvoir de la nouvelle équipe, fin 2000. D'abord feutrée, elle a vite éclaté au grand jour au point de devenir chronique. Bien qu'elle soit davantage une querelle de tempérament et d'ambition qu'une réelle opposition idéologique, elle obère de manière grave la vie politique serbe et entrave la politique de réformes que tout le monde attend.
En se présentant à l'élection présidentielle serbe, Kostunica est devenu une menace directe pour Djindjic et son équipe. Bien que le président serbe n'ait pas le pouvoir constitutionnel de démettre le gouvernement, l'équipe au pouvoir redoute l'éventualité d'élections législatives anticipées qui la balaieraient, dans la mesure où elle est créditée de 15 à 20 % des suffrages dans les sondages. D'où la tentation d'éviter d'une manière ou d'une autre l'accession de Kostunica à la magistrature suprême. Cet objectif est momentanément atteint à la faveur du manque de quorum, savamment entretenu tout au long des derniers scrutins. Cette stratégie a déjà coûté cher au Parti démocrate, qui a vu la démission de son vice-président, Miroljub Labus, déçu d'avoir été "lâché" lors du scrutin du 13 octobre par sa propre formation.
Mais elle coûte cher aussi au pays, qui reste avec un président intérimaire en République serbe, la présidente du Parlement serbe, Mme Micic, et un grand nombre de problèmes économiques et politiques en souffrance. C'est ainsi que le 7 novembre dernier, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a rejeté l'adhésion de la Yougoslavie, le pays n'ayant pas rempli la condition fixée par l'entité européenne, à savoir l'adoption de la Charte constitutionnelle du futur Etat. Il a également appelé la République fédérale à " montrer une volonté sincère et ferme de collaborer pleinement avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie de La Haye ". La Yougoslavie n'a pas non plus été invitée au sommet de l'OTAN de Prague, le 21 novembre, au titre du Partenariat pour la paix, ni associée à l'Union Européenne, tant que la question fédérale n'est pas réglée. A cela s'ajoute le fait que la fédération elle-même n'aura plus qu'un président intérimaire à partir de janvier, à savoir le président du parlement fédéral, Dragoljub Micunovic, et que le poste de président de la République du Monténégro est lui aussi vacant, le premier ministre, Filip Vujanovic assurant l'intérim en attendant un nouveau scrutin...
Des avancées politiques et économiques
Tout n'est cependant pas noir ou gris dans le bilan de la nouvelle équipe politique. Le citoyen de la rue se sent libre. Le niveau de vie moyen a globalement augmenté en deux ans, même si les revenus sont encore loin du niveau atteint du temps de Tito (le salaire moyen est de 200 euros, les retraites sont comprises entre 110 et 130 euros par mois). Les salaires sont versés plus régulièrement qu'auparavant, et les retraites avec un retard modéré.
La monnaie est restée remarquablement stable, le dinar est devenu convertible et n'a guère bougé par rapport aux monnaies européennes, grâce à la politique monétaire menée par le gouverneur de la Banque centrale. Les réserves en devises se sont reconstituées, passant de 200 millions à 3 milliards de dollars. Le système économique sort du climat d'assistance dans lequel le système socialiste, maintenu par Milosevic, l'avait maintenu. L'esprit d'entreprise gagne du terrain. Les petits commerces fleurissent. Les grandes surfaces s'installent dans les grandes villes. Les investisseurs étrangers commencent à venir, même si le cadre légal et fiscal demande à être perfectionné. Les sociétés de crédit font leur apparition. On peut maintenant acheter son appartement avec des prêts à 20 ou 30 ans. La privatisation a été introduite avec 10 ans de retard, mais elle bénéficie de l'expérience des autres pays en transition, même si la politique sociale liée aux restructurations industrielles et commerciales inquiète les économistes (les chômeurs sont indemnisés à court terme, sans véritable politique de réinsertion professionnelle, ce qui constitue un problème pour le proche avenir).
Sur le plan international, la Yougoslavie a été réintroduite dans le concert des nations : réadmission à l'ONU, à l'OSCE, et dans un certain nombre d'autres organisations internationales. L'admission à d'autres instances, telles que le Conseil de l'Europe, l'OTAN ou l'association avec l'Union Européenne sont en suspens, mais dès que les questions constitutionnelles seront réglées, ces reconnaissances diplomatiques ne devraient pas soulever de problèmes majeurs. Elles servent d'aiguillon pour la mise en œuvre de réformes institutionnelles, pour peu que cesse la guerre "fratricide" qui freine le progrès politique et économique du pays.
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