Le Royaume-Uni lève l’embargo sur les armes
En octobre de cette année, le Royaume-Uni a pris deux mesures importantes dans sa politique étrangère. Dans le cadre de son soutien continu à l’Ukraine, Londres a élargi ses sanctions contre la Russie, les étendant au secteur de l’énergie, et a simultanément levé un embargo sur les armes imposé à l’Arménie et à l’Azerbaïdjan depuis trois décennies.
À première vue, ces mouvements peuvent sembler sans rapport. En réalité, cependant, ils font partie d’une stratégie géopolitique et sécuritaire plus large et interconnectée.
Cet article examine la logique stratégique qui lie ces deux décisions — et les motivations à l’origine du changement de politique de Londres.
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Stratégie de politique étrangère du Royaume-Uni : « Pouvoir et choix »
Dans le contexte de la guerre en Ukraine, le gouvernement britannique a adopté une politique de « puissance dure » à l’égard de la Russie, poussant les sanctions économiques à leurs limites. Dans son dernier ensemble de 90 nouvelles mesures restrictives, Londres a ciblé les plus grandes sociétés énergétiques russes – Rosneft et Lukoil – ainsi que quatre terminaux pétroliers en Chine, 44 pétroliers de la « flotte fantôme » russe exportant du brut, et même l’indien Nayara Energy.
L’objectif est d’étouffer les revenus qui alimentent le « trésor de guerre de Poutine », la Grande-Bretagne affichant clairement sa détermination à couper les bouées de sauvetage financières du Kremlin.
Dans le même temps, le Royaume-Uni exerce son « soft power » et son action diplomatique dans le Caucase du Sud en levant son embargo sur les armes en vigueur depuis 30 ans contre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Selon un communiqué officiel, cette décision vise à élever les relations bilatérales avec les deux pays au niveau de partenariat stratégique et à les aider à contrer les « menaces hybrides ».
En d’autres termes, la Grande-Bretagne combine dissuasion et engagement – en punissant l’agresseur par des sanctions tout en offrant sa coopération aux partenaires régionaux. Cette approche de la « carotte et du bâton » souligne la double stratégie de Londres : projeter sa force là où la confrontation est nécessaire et favoriser son influence là où le partenariat est possible.
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Lien avec l’Azerbaïdjan : des noms familiers sur la liste des sanctions britanniques
L’une des caractéristiques les plus frappantes du nouveau paquet de sanctions du Royaume-Uni contre la Russie a été l’inclusion de plusieurs hommes d’affaires et dirigeants azerbaïdjanais – une décision qui témoigne de la position plus dure de Londres sur la corruption et les flux de capitaux opaques, ainsi que de la nature transnationale des réseaux économiques russes.
Parmi les personnes sanctionnées figurent des personnalités éminentes telles que le président de Lukoil Vagit Alekperov, le président de « Kievskaya Ploshchad » God Nisanov et son partenaire commercial Zarakh Iliev – tous deux des développeurs bien connus à Moscou ayant des liens étroits avec les cercles d’affaires liés au Kremlin.
Sont également ajoutés à la liste les directeurs de la société de négoce pétrolier Coral Energy Group – Ahmed Kerimov, Anar Medetli, Talyat Safarov, Etibar Eyub et Tahir Karaev – ainsi que Shanlyk Shukurov, un cadre de Mastel Makina.
Une attention particulière a été attirée sur Fikret Tagiev, qui, selon Radio Azadliq, dirigeait le centre de détention Matrosskaya Tishina à Moscou lorsque l’avocat Sergueï Magnitski y est décédé en 2009. Le gouvernement britannique a accusé Tagiev d’être responsable des mauvais traitements infligés à Magnitsky et d’avoir dissimulé des preuves liées à sa mort.
L’inclusion de ces noms montre que les sanctions britanniques ciblent non seulement les États mais aussi les réseaux transnationaux de corruption et de capital lié à l’énergie. Ce faisant, Londres envoie un signal clair aux acteurs économiques intégrés dans le système russe mais originaires d’autres pays.
Dans ce contexte, l’apparition de noms azerbaïdjanais souligne à la fois le degré d’intégration entre le secteur énergétique azerbaïdjanais et l’économie russe – et l’impact plus large de la politique de sanctions du Royaume-Uni sur le paysage économique et politique changeant du Caucase du Sud.
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Sécurité et équilibre régional
Les récentes décisions du Royaume-Uni peuvent également être considérées dans le contexte de son objectif plus large de remodeler la sécurité européenne et l’équilibre des pouvoirs régional. Les sanctions énergétiques contre la Russie visent à affaiblir l’influence mondiale de Moscou. Sous couvert de « retirer le pétrole russe du marché », Londres cherche à couper les principales sources de revenus qui financent le budget militaire du Kremlin. Cela fait partie d’une stratégie plus large visant à isoler économiquement la Russie au sein de l’alliance européenne et occidentale.
Dans le même temps, en levant l’embargo sur les armes imposé aux pays du Caucase du Sud, le Royaume-Uni étend sa présence dans une région longtemps considérée comme faisant partie des sphères d’influence de puissances telles que la Russie et la Turquie. Cette décision témoigne d’un rôle britannique plus actif dans l’architecture de sécurité de la région. Pendant des décennies, le Royaume-Uni a maintenu une distance prudente à l’égard des conflits dans le Caucase, se concentrant principalement sur les intérêts économiques du secteur pétrolier et gazier de l’Azerbaïdjan.
En levant l’embargo, Londres montre désormais qu’elle est prête à transformer son empreinte économique en influence politique et militaire.
En fin de compte, le Royaume-Uni cherche simultanément à saper la domination énergétique de la Russie en Europe et à s’imposer comme un nouveau centre de puissance stratégique dans le Caucase, modifiant ainsi l’équilibre régional en sa faveur.
Manœuvre diplomatique avec un message symbolique
Les sanctions et les embargos ne sont pas seulement des outils de pression mais aussi de puissants signaux diplomatiques. Les actions de Londres peuvent être interprétées comme des messages adressés à différents publics.
Message à l’Europe et à la communauté internationale :
Le Royaume-Uni cherche à démontrer sa détermination à soutenir l’Ukraine et à affirmer qu’avec ses alliés, il « intensifie la pression sur Poutine ». Comme l’a déclaré la ministre des Affaires étrangères Yvette Cooper : « Le Royaume-Uni et nos alliés frappent la flotte pétrolière, gazière et fantôme de Poutine, et nous ne nous arrêterons pas tant qu’il ne mettra pas fin à sa politique agressive. » De telles déclarations renforcent l’image de la Grande-Bretagne en tant que leader au sein de l’alliance occidentale et réaffirment son engagement en faveur de la dissuasion pour le bien de la sécurité de l’Ukraine.
Message au Caucase du Sud :
La levée de l’embargo sur les armes envoie à Erevan et à Bakou le signal que Londres a l’intention d’investir dans la paix et la stabilité dans la région, en jouant un « rôle constructif et pratique ». De hauts responsables britanniques ont souligné qu’ils « accueillent chaleureusement » les récentes initiatives de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et les considèrent comme le fondement d’une paix durable.
Ainsi, Londres se présente comme capable de faire preuve de flexibilité stratégique : mener une lutte acharnée contre l’agression dans une région tout en investissant dans la réconciliation et la coopération dans une autre.
La déclaration officielle du Royaume-Uni souligne son intention d’élever les relations avec l’Arménie et l’Azerbaïdjan au niveau d’un partenariat stratégique. Cette décision reflète l’ambition de Londres de renforcer son influence dans la région et de soutenir la souveraineté des deux États du Caucase face aux « menaces traditionnelles et hybrides » posées par d’autres États et acteurs non étatiques.
Lors de sa visite en août à Erevan et Bakou, le ministre britannique de l’Europe, Stephen Doughty, a conclu des accords sur des dialogues stratégiques annuels et une coopération dans le domaine de la défense, confirmant ainsi l’intention du Royaume-Uni de jouer un rôle actif dans le Caucase.
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Temps et contexte
La coïncidence du timing des deux décisions est remarquable. Leur synchronicité montre que le Royaume-Uni entre dans une nouvelle phase de politique étrangère, marquée par une position active et une volonté de prendre l’initiative sur plusieurs fronts. Alors que l’Union européenne débat de son 19e paquet de sanctions et que la nouvelle administration à Washington sous la présidence de Donald Trump se montre peu encline à imposer de nouvelles mesures à la Russie, Londres a pris l’initiative de frapper les revenus énergétiques de Moscou.
En d’autres termes, le Royaume-Uni vise à jouer un rôle de leader dans un vide de pouvoir, en faisant preuve de solidarité transatlantique tout en maintenant la pression sur le Kremlin, qu’il considère comme une menace pour sa sécurité nationale. Dans le même temps, le contexte géopolitique dans le Caucase du Sud évolue rapidement : à la suite de la guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, les progrès négociés à Washington ont permis aux deux parties de franchir des étapes historiques vers un accord de paix.
C’est à ce moment-là que le Royaume-Uni a saisi la « fenêtre d’opportunité » en levant l’embargo sur les armes de longue date, remodelant ainsi sa politique régionale.
Cette décision marque la fin de l’ancien statu quo et démontre l’intention de Londres de jouer un rôle plus actif dans le Caucase du Sud dans une nouvelle ère. Le moment était délibéré : le Royaume-Uni a renforcé sa position à la fois à l’Ouest et à l’Est.
En fin de compte, l’élargissement des sanctions britanniques contre la Russie et la levée simultanée de l’embargo sur les armes contre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ne sont pas des mesures isolées, mais les deux faces d’une même approche stratégique. L’objectif de Londres est de prendre l’initiative des confrontations mondiales, d’affaiblir les centres de pouvoir rivaux et d’empêcher tout vide d’influence dans sa sphère d’intérêt.
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