Azerbaïdjan : carburants et dictature
Sur fond d’allégations formulées dans le documentaire d’ARTE « Azerbaïdjan : énergies fossiles et dictature » Suite à l’ingérence de Bakou dans les affaires intérieures de la France, les relations entre les deux pays sont devenues à la fois plus étroites et plus tendues.
La chaîne de télévision franco-allemande ARTE a souligné dans son dernier épisode que l’Azerbaïdjan mène une politique active non seulement dans le domaine énergétique, mais cherche également à exercer une influence politique sur les territoires français lointains, notamment en Nouvelle-Calédonie.
L’épisode de « Cartographier le monde » a offert un regard critique à la fois sur le système politique intérieur de l’Azerbaïdjan et sur ses ambitions diplomatiques croissantes à l’étranger.
ARTE a décrit l’Azerbaïdjan comme « un système politique hautement centralisé construit sur les revenus pétroliers et gaziers », soulignant que ses ressources énergétiques sont devenues un outil non seulement de stabilité économique mais aussi de levier politique.
- Alors que les exportations de pétrole et de gaz ont renforcé la position régionale de l’Azerbaïdjan, les revenus énergétiques n’ont guère contribué à promouvoir les institutions démocratiques dans le pays.
- L’émission souligne que les autorités azerbaïdjanaises continuent de restreindre la liberté de la presse et d’exercer des pressions sur les personnalités de l’opposition et les militants de la société civile.
- Il introduit également le concept de « déstabilisation numérique », affirmant que le gouvernement utilise des outils technologiques pour surveiller et influencer l’opinion publique.
- Les événements du Haut-Karabakh sont décrits comme un « nettoyage ethnique », avec une référence spécifique à l’exode massif de la population arménienne de la région.
ARTE et les débats dans les médias français
L’émission note que la rhétorique de la décolonisation de l’Azerbaïdjan est devenue un outil idéologique pour exercer une influence sur les territoires français d’outre-mer – une tendance qui, selon les analystes français, était évidente lors des événements en Nouvelle-Calédonie.
À la suite des émeutes de mai 2024 sur le territoire français de Nouvelle-Calédonie, le gouvernement français a accusé l’Azerbaïdjan « d’ingérence dans les affaires intérieures et de mener une campagne de désinformation ». Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a déclaré que « l’Azerbaïdjan utilise les médias sociaux pour soutenir les militants indépendantistes et faire pression sur la souveraineté française ».
Un rapport de l’agence de surveillance française Viginum a déclaré que des « comptes liés à l’Azerbaïdjan » décrivaient les manifestations de Nouvelle-Calédonie comme un « mouvement de libération contre la politique impériale de la France ».
La signature d’un mémorandum de coopération entre la présidente de l’Assemblée nationale azerbaïdjanaise, Sahiba Gafarova, et la députée néo-calédonienne Omayra Naisseline, en avril 2024, a suscité la polémique dans les médias français. Cependant, en octobre, le Parlement nouvellement élu de Nouvelle-Calédonie a déclaré le mémorandum nul et non avenu.
Le gouvernement azerbaïdjanais a rejeté toutes les accusations, les qualifiant de « sans fondement ». Le ministère des Affaires étrangères a déclaré dans un communiqué : « L’Azerbaïdjan n’a aucune intention de s’immiscer dans les affaires intérieures d’un quelconque pays. Les allégations répandues constituent une forme de manipulation politique ».
Vengeance diplomatique sous le slogan de la « décolonisation » : la politique de l’Azerbaïdjan en Nouvelle-Calédonie
En Azerbaïdjan, un graffeur français a été condamné à trois ans de prison
De nouveaux détails sont apparus concernant « le réseau d’espionnage français » en Azerbaïdjan
Le « Groupe d’initiative de Bakou » comme outil idéologique et diplomatique
Le « Groupe d’initiative de Bakou », fréquemment évoqué à propos de la Nouvelle-Calédonie, a été créé à l’été 2023 lors d’une conférence internationale à Bakou intitulée « Idéologies et réalités du colonialisme ».
Selon ses organisateurs, l’objectif du groupe est de « porter la voix des peuples des territoires d’outre-mer administrés par la France auprès de la communauté internationale ». Des représentants de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie ont participé à ses événements.
Les experts français considèrent cependant cette initiative comme un mécanisme d’influence idéologique. Un rapport du groupe de réflexion de l’Institut Montaigne note que « l’Azerbaïdjan fait du discours de la décolonisation un instrument de pression diplomatique, notamment en réponse au rapprochement croissant entre la France et l’Arménie ».
Dans le même temps, certains analystes décrivent le Groupe d’Initiative de Bakou comme faisant partie de la stratégie de « puissance douce » de l’Azerbaïdjan – une tentative de façonner un discours diplomatique alternatif qui remet en question le récit postcolonial de l’Occident.
Paradoxe des relations franco-azerbaïdjanaises : dégel diplomatique et tension stratégique
Malgré les tensions croissantes liées à la crise néo-calédonienne, les derniers mois ont vu la poursuite du dialogue entre les dirigeants français et azerbaïdjanais.
Le 2 octobre, lors du sommet de la Communauté politique européenne à Copenhague, les présidents Ilham Aliyev et Emmanuel Macron ont tenu une réunion bilatérale. Les deux dirigeants ont discuté du processus de paix régional, de la coopération énergétique et des préparatifs de la COP29.
Macron a félicité Aliyev pour les progrès des négociations avec l’Arménie et a souligné « l’importance du partenariat énergétique entre l’Europe et l’Azerbaïdjan ». Dans les milieux diplomatiques parisiens, la rencontre a été interprétée comme « un autre signe de réchauffement des relations ». Cependant, les observateurs ont noté que cela reflète davantage une « diplomatie d’équilibre » – un effort pour maintenir la coopération malgré les désaccords stratégiques.
Dans le même temps, Aliyev a critiqué à plusieurs reprises le gouvernement français pour son « héritage colonial ». Le président azerbaïdjanais a fait valoir que « la France, en réprimant les aspirations à la liberté en Nouvelle-Calédonie et dans d’autres territoires d’outre-mer, ne s’est pas encore débarrassée de la pensée coloniale ».
Ces déclarations suggèrent que les relations entre Paris et Bakou entrent dans une phase « chaleureuse mais fragile ».
Diplomatie énergétique et dépendance mutuelle
L’épine dorsale des liens économiques entre la France et l’Azerbaïdjan est la coopération énergétique. En 2022, l’Union européenne a signé un mémorandum énergétique avec Bakou visant à réduire la dépendance vis-à-vis du gaz russe.
Le rôle de l’Azerbaïdjan en tant que fournisseur d’énergie a renforcé son influence politique sur le marché européen en 2024-2025. Cependant, certains milieux parisiens affirment que « l’Azerbaïdjan utilise la diplomatie énergétique non seulement comme un outil économique mais aussi comme un instrument politique d’influence ».
Contexte et perspectives : retour diplomatique ou nouvelle ligne idéologique ?
Depuis deux ans, les relations entre la France et l’Azerbaïdjan sont devenues de plus en plus contradictoires. D’un côté, il y a la coopération énergétique, les avantages économiques et le dialogue régional ; de l’autre, une confrontation idéologique articulée autour du « colonialisme » et de la « désinformation ».
Pour la France, la question touche à la sécurité intérieure et à la souveraineté ; pour l’Azerbaïdjan, cela fait partie de son image internationale et une composante du discours sur la « justice postcoloniale ».
Les analystes suggèrent que pour Bakou, le « Groupe d’initiative de Bakou » sert à la fois d’outil de retour diplomatique et de nouvelle stratégie de politique étrangère. Ses activités reflètent l’ambition de l’Azerbaïdjan de se positionner comme un « centre d’influence alternatif » au sein d’un ordre international centré sur l’Occident.
Cependant, parce que de telles initiatives se heurtent à la sensibilité de la France aux questions de souveraineté, une nouvelle phase d’affrontement idéologique et informationnel émerge entre les deux pays.
Aujourd’hui, les relations franco-azerbaïdjanaises sont dans une phase de « dialogue critique ». Si les voies diplomatiques restent ouvertes, ce sont les tensions idéologiques, notamment concernant la Nouvelle-Calédonie et le Groupe d’initiative de Bakou, qui sont susceptibles de façonner la trajectoire future des relations entre Paris et Bakou.