Visite du CPT en Azerbaïdjan
Du 22 septembre au 3 octobre, une délégation du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) s’est rendue en Azerbaïdjan.
Le communiqué note qu’il s’agit de la sixième visite de la délégation dans le pays.
Selon le CPT, le but de ce voyage était d’examiner les conditions de détention, le traitement et les garanties juridiques des personnes détenues par les forces de l’ordre, ainsi que dans des établissements pénitentiaires et psychiatriques. La délégation a également examiné les mesures prises par les autorités azerbaïdjanaises en réponse aux recommandations du Comité lors de visites précédentes.
Au cours de la visite, des réunions ont eu lieu avec plusieurs organes gouvernementaux et des observations préliminaires ont été présentées à la partie azerbaïdjanaise à la fin du voyage.
La dernière visite du CPT à Bakou peut être considérée, d’une part, comme une tentative tactique de l’Azerbaïdjan pour atténuer la pression internationale, et d’autre part, comme la preuve que le déficit de confiance entre les parties n’est toujours pas résolu.
La visite a constitué un test crucial, tant en termes de rétablissement potentiel des liens avec l’APCE que pour évaluer la situation réelle en matière de répression et de protection des droits légaux dans le pays.
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Que signifie la visite du CPT ?
Contrairement à d’autres organismes internationaux, le Comité pour la prévention de la torture (CPT) du Conseil de l’Europe est un mécanisme pratique doté d’un mandat spécifique. Son travail se concentre moins sur la production de documents que sur le contrôle sur le terrain : inspection des commissariats, des établissements pénitentiaires et psychiatriques, et entretien direct avec les détenus.
La sixième visite du CPT en Azerbaïdjan marque une évolution vers un contrôle systématique. L’objectif de la mission est d’examiner les conditions, le traitement et les garanties juridiques des personnes détenues sous le contrôle des forces de l’ordre.
Cependant, cette visite est plus qu’un contrôle technique. Cela fait suite à une déclaration du CPT de juillet 2024 suspendant la coopération avec l’Azerbaïdjan, citant l’incapacité du gouvernement à répondre aux lettres du Comité, à mettre en œuvre les recommandations et son « refus décisif d’engager un dialogue ».
La visite a également coïncidé avec la suspension du droit de vote de l’Azerbaïdjan à l’APCE et une rencontre entre le président Ilham Aliyev et le secrétaire général du Conseil de l’Europe, Alain Berset, à l’Assemblée générale des Nations Unies. Ce timing crée un « double jeu » sur la scène diplomatique : Bakou, d’un côté, signale sa volonté de s’engager, tandis que de l’autre, il ne montre aucune intention de céder sur ses positions.
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Un tribunal de Bakou a ordonné la détention provisoire d’Adnan Ahmadzade, ancien haut responsable de la SOCAR, pour quatre mois. L’acte d’accusation officiel n’a pas encore été publié, alimentant de nombreuses spéculations médiatiques sur les raisons de son arrestation.

Quel signal envoie Bakou ?
Pour un public international
En autorisant la visite du CPT, l’Azerbaïdjan envoie un signal aux institutions européennes : « nous n’avons pas brûlé tous les ponts ». Cette décision vise probablement à prévenir les atteintes à la réputation, les sanctions et les pressions politiques dans le secteur de l’énergie.
Pour Bakou, cela fait également partie d’une stratégie visant à maintenir des liens formels avec le Conseil de l’Europe et à éviter un isolement complet de l’Occident.
Cependant, le geste a ses limites. Après la publication du rapport du CPT en 2022 sans le consentement de l’Azerbaïdjan, les autorités ont « définitivement mis fin » à leur coopération avec le Comité. Ce rapport soulignait que les cas de torture et de mauvais traitements dans les commissariats de police et les centres de détention étaient systémiques et que le ministère de l’Intérieur n’avait pas mis en œuvre les recommandations du CPT.
Pour un public national
Même si cette visite n’a pas suscité un large débat public en Azerbaïdjan, elle constitue une vitrine de légitimité pour les autorités. L’image selon laquelle « les organisations internationales continuent de travailler avec nous » contribue à atténuer les critiques nationales à l’égard des politiques répressives et à contrecarrer la perception selon laquelle « personne ne veut parler à Bakou ».
Des échos de cette visite sont cependant apparus dans la récente couverture médiatique pro-gouvernementale.
Le directeur de Gununsesi.info, le journaliste Perviz Gashimli, a déclaré après le septième sommet de la Communauté politique européenne au Danemark que « l’Azerbaïdjan a pleinement assuré sa souveraineté et qu’il n’est plus possible d’ignorer les exigences de l’Europe tout en maintenant sa position antérieure ».
Selon Gashimli, l’économie du pays entre dans une phase post-pétrolière et « elle ne peut pas être soutenue par des amendes et des sanctions administratives ». Il affirme que l’Azerbaïdjan n’a pas d’autre voie que l’Europe, qui « passe par de véritables réformes démocratiques ».
De telles déclarations de la part de personnalités progouvernementales ont des implications à la fois économiques et politiques. Gashimli note : «Le président est un leader soutenu par le peuple et la détention de journalistes et de militants politiques ne constitue plus une menace pour le pouvoir..» Il estime que de telles mesures prudentes pourraient rapporter des dividendes politiques aux dirigeants azerbaïdjanais, tant au niveau international que national.
La parution de ces évaluations dans les médias pro-gouvernementaux est délibérée. Une telle couverture médiatique reflète souvent des changements subtils dans le ton des autorités et des signaux diplomatiques visant à rétablir les relations avec l’Europe.
Dans ce contexte, la visite du CPT devient un indicateur du « réchauffement et des attentes en matière de réforme », non seulement au niveau international mais aussi au niveau national. D’une part, cela peut être considéré comme une tentative d’atténuer la pression politique ; d’autre part, pour préparer le rétablissement du mandat de l’Azerbaïdjan lors de la prochaine session de l’APCE en janvier.
Racine du problème
Des rapports antérieurs du CPT montrent que les cas de torture et de mauvais traitements en Azerbaïdjan ne sont pas des incidents isolés mais reflètent un problème systémique.
Le rapport de 2022 fait état de coups, d’étranglements, de décharges électriques et de menaces de violences sexuelles de la part de policiers. Le CPT a noté que ces plaintes étaient nombreuses et récurrentes, révélant un problème au niveau systémique.
Les autorités azerbaïdjanaises ont rejeté ces affirmations, qualifiant le rapport de « sans fondement et biaisé ». Cependant, une déclaration du CPT de juillet 2024 a souligné que le ministère des Affaires étrangères n’avait pas donné suite aux recommandations du Comité pendant des années et que son refus de répondre aux lettres du président du CPT constituait une violation sans précédent de la Convention européenne.
Cela soulève une question urgente :
« Après six visites, des dizaines de recommandations et des déclarations publiques, quels changements structurels se sont produits en Azerbaïdjan, et s’il n’y en a pas, pourquoi ces problèmes persistent-ils ?
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Même si ces visites sont considérées comme des signes de progrès dans les pourparlers de paix, des questions clés restent en suspens.

Déclaration publique du CPT et détails du rapport 2022
En juillet 2024, le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) a pris une mesure rare et extraordinaire à l’égard de l’Azerbaïdjan : il a publié une déclaration publique.
Cette mesure s’appuie sur l’article 10 de la Convention qui sous-tend les travaux du Comité et n’est utilisée que lorsqu’un État refuse de coopérer avec le CPT ou ne met pas en œuvre ses recommandations.
Le Comité a déclaré que la déclaration publique était motivée par le refus ferme de l’Azerbaïdjan de s’engager dans un dialogue constructif et sa réticence à résoudre les problèmes identifiés. Il a notamment noté que le Président du CPT avait envoyé des lettres proposant des réunions de haut niveau à Bakou, qui sont restées sans réponse de la part des autorités officielles.
La déclaration met en lumière de nombreux rapports faisant état de violences et de tortures continues de la part de la police contre des détenus. Un rapport de 38 pages, préparé après une visite spéciale en décembre 2022, documente cas de violences physiques graves et de torture utilisées pour obtenir des aveux.
Les méthodes signalées comprenaient des passages à tabac, des coups de pied, des coups de matraque et de bâton en bois, des coups de pied (« falaqa »), des menaces d’agression sexuelle avec une bouteille et des décharges électriques. Des pressions et des menaces ont également été signalées à l’encontre des membres de la famille des détenus.
En raison de l’ampleur et de la gravité de ces rapports, le CPT a pris la mesure sans précédent de publier le rapport 2022 sans le consentement de l’Azerbaïdjan – une mesure rare dans l’histoire du Comité visant à garantir la transparence et la responsabilité.
En réponse, les autorités azerbaïdjanaises ont affirmé que la publication sans consultation « viole les exigences de la Convention » et est « injuste ». Le ministère des Affaires étrangères a qualifié les actions du CPT de « non constructives », tandis que le député du Milli Mejlis, Fazil Mustafa, a accusé le Comité de partialité.
Le CPT maintient cependant que l’Azerbaïdjan est l’un des rares Etats membres du Conseil de l’Europe qui viole de manière flagrante ses obligations au titre de la Convention.
Contexte diplomatique : rencontre Aliyev-Bersé et « rétablissement des liens »
Lors de la visite de la délégation du CPT à Bakou, le Président Ilham Aliyev a rencontré le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, Alain Berset, en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies. La réunion a eu une signification diplomatique symbolique, marquant la première discussion en personne entre les deux parties depuis longtemps.
La visite et la rencontre sont considérées comme des gestes complémentaires : Bakou veut montrer qu’elle n’a pas complètement rompu le dialogue avec le Conseil de l’Europe. Reste cependant la question de savoir si ce « geste de restauration » peut se transformer en une véritable coopération.
Si l’Azerbaïdjan autorise la publication du rapport du CPT sur la dernière visite, cela pourrait constituer une étape vers une restauration progressive de la confiance. Dans le cas contraire, la signification de la visite restera purement symbolique.
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Que pourrait-il se passer dans les mois à venir ?
Le rapport final du Comité sur la visite devrait être publié début 2026, sous réserve de l’accord du gouvernement azerbaïdjanais.
Deux scénarios sont possibles :
Si le consentement n’est pas donné, le rapport restera classifié. Cela signifierait un éloignement accru de Bakou des institutions européennes, un isolement politique accru et le début de nouvelles discussions sur le statut de l’Azerbaïdjan au sein de l’APCE.
Si le consentement était accordé, cela enverrait le signal d’un dialogue rétabli avec le CPT et pourrait jeter les bases d’un certain assouplissement des relations avec l’APCE.
Toutefois, cette mesure n’apportera de réels résultats que si les autorités la soutiennent par des actions concrètes, notamment en améliorant les conditions de détention, en augmentant la transparence des enquêtes et en autorisant les organisations non gouvernementales à effectuer des contrôles.
La visite du CPT : un véritable début ou juste un spectacle ?
Le retour du CPT en Azerbaïdjan est plus qu’un contrôle des droits de l’homme : c’est un test diplomatique.
La visite montrera comment Bakou réagit à la pression internationale, l’orientation de ses relations avec le Conseil de l’Europe et, surtout, si les autorités azerbaïdjanaises ont une réelle intention de mettre en œuvre des réformes en matière de droits de l’homme.
Si le gouvernement choisit à nouveau de retenir le rapport du CPT, cela donnera l’impression non pas d’un « dialogue rétabli », mais d’une simple démonstration de coopération.
Si, en revanche, le rapport était publié, cela pourrait marquer un premier pas vers le rétablissement de la confiance.
Mais la question centrale demeure :
L’Azerbaïdjan est-il réellement en train de reconstruire des ponts avec le Conseil de l’Europe, ou se cache-t-il simplement dans son ombre ?
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