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VII) Les émigrations géorgiennes vers la France : années 1950 aux années 1980
http://www.colisee.org/article.php?id_article=3622lundi 30 janvier 2012, par Mirian Méloua Septième partie du Dossier : les émigrations géorgiennes vers la France au XXème et au XXIème siècles (2012) Les années de guerre froide ne sont pas propices à la communication entre l'Est et l'Ouest.
Les années 1950La mort de Staline, en 1953, déclenche des espoirs de réchauffement vite oubliés. Les chefs historiques de l'émigration géorgienne disparaissent un à un. La plupart laissent des écrits, généralement en langue géorgienne, parfois en langues russe ou française, voire en langue anglaise. L'inventaire reste à faire. Voir :
Parmi les dernières grandes figures de la Ière République de Géorgie émigrées en France, Rajden (dit "Micha") Arsénidzé disparaîtra en 1965, Guiorgui Kvinitadzé en 1970 et Sossipatré Assathiany en 1971 : c'est surtout Noé Tsintsadzé (1886-1978), secrétaire d'Etat dans le 3ème gouvernement, qui "maintiendra la flamme" jusqu'à sa mort. Voir :
Les célébrations de fête, notamment les dates anniversaires du 26 mai 1918, s'effectuent au Cercle militaire Saint Augustin, à Paris, avec des invités politiques français acquis à la cause géorgienne. Niko Kouroulichvili échange ses habits traditionnels (nabadi et tchokha), exibés en 1ère classe du métro, contre des habits de Père Noël et marque toute une génération. Chota Abachidzé, Ilia Djabadary et Sergo Kokhreidzé transmettent leur savoir faire en termes de danses et de chants à la jeunesse « géorgienne ». Ethery Rouchadzé montre déjà le talent pianistique qui la fera connaître sous le nom de Djakéli. Voir :
L'émigration géorgienne continue à publier, souvent à tirage confidentiel. Isidore Karséladzé a hérité d'outils linotypes transférés durant les années 1920 de Batoumi à Constantinople, puis de Constantinople à Leuville-sur-Orge, via Marseille. Dans son atelier attenant au Château, il compose journaux, revues et brochures à la demande. Il porte ensuite pour impression le « plomb » à l'Imprimerie coopérative d'Arpajon, entreprise d'obédience communiste. Les typographes essaient régulièrement de convaincre « un des leurs » -tant son professionnalisme est reconnu- de « quitter le camp des Russes blancs pour rejoindre celui des travailleurs », en vain. Personnage haut en couleurs, Isidore Karséladzé n'hésite pas à les inviter en Géorgie pour le jour de restauration de l'indépendance et à leur offrir cette eau-de-vie leuvilloise tant appréciée des jeunes générations géorgiennes (le plus célèbre des amateurs en est Gogui Charachidzé). L'atelier linotype, nommé « Stamba », est pour eux un lieu de pèlerinage. Voir :
En 1957, le Ballet national géorgien Soukhichvili effectue pour la première fois une tournée en France. L'accueil est enthousiaste, mais divise l'émigration géorgienne. Pour les uns, même si une extrême prudence doit être observée vis-à-vis de l'encadrement soviétique, des contacts peuvent être noués avec la troupe : les patronymes communs ou connus sont recherchés, des sorties dans Paris sont organisées. Pour les autres, la propagande soviétique doit être évitée, en particulier au vu des invitations en Géorgie -gratuites- proposées aux descendants des émigrés des années 1920. À la fin des années 1950, la projection en version française du film soviétique « Quand passent les cigognes » du cinéaste Mikhaïl Kalatozov -en réalité Mikheïl Kalatozichvili-, film particulièrement beau, énerve par sa propagande pacifiste. Celle de « L'âne de Magdana » de Tenguiz Abouladzé, est probablement l'une des premières projections en France en version originale : moins militante, elle enchante. Kalistrat Salia (soutenu par le CNRS, plus tard à l'origine d'une polémique concernant les autorités soviétiques) et sa femme Nino lancent « Bedi Kartlisa. Revue de Kartvélogie » avec des articles en plusieurs langues, géorgienne, française, anglaise et allemande. Elle est publiée durant une vingtaine d'années et constitue un fonds documentaire sur la Géorgie.
Les années 1960Au début des années 1960, un groupe folklorique -« Les Amitiés géorgiennes »- se forme sous l'égide de Ramine Naskidachvili et d'Othar Amilakhvari, tous deux nés en France, et intègre d'autres descendants de l'émigration des années 1920 : il donne une série de représentations de danses traditionnelles dans la région parisienne. Lors des visites en France des dirigeants soviétiques, les « opposants » géorgiens sont éloignés de Paris par le ministère français de l'Intérieur. Parmi la vingtaine de personnes envoyées temporairement en Corse figurent Elissé Pataridzé et Levan Zourabichvili, tour à tour président de l'Association géorgienne en France. Voir :
La déstalinisation tarde, mais elle permet les premiers échanges de courrier postal entre la Géorgie et la France. Si, là aussi, une extrême prudence est observée dans les écrits afin que les proches ne soient pas inquiétés en Géorgie : des photographies familiales et des livres de littérature française sont envoyées, des nouvelles parfois sibyllines sont reçues (en particulier à propos des personnes décédées en déportation, ou récemment revenues de déportation). La censure est omniprésente : le courrier passe par Moscou. Les adresses doivent être libellées d'abord en russe, ensuite en géorgien. Quelquefois les livres se perdent, surtout lorsqu'il s'agit d'auteurs contemporains. Les plus intransigeants enragent. En 1966, le voyage du général de Gaulle à Moscou, accompagné de son interprète Constantin Andronikachvili, ouvre une brèche psychologique. Les visas d'entrée en URSS seront peut-être plus faciles à obtenir. Les descendants nés en France, de nationalité française, risquent moins. Au compte-goutte, certaines familles émigrées obtiennent des lettres d'invitation et envoient leurs enfants en Géorgie pour rencontrer cousins germains ou cousins éloignés. Voir : De multiples manifestations soviétiques, avec section géorgienne, se succèdent en France : des militants communistes français, des visiteurs sans couleur politique et des membres de l'émigration géorgienne s'y croisent. Des discussions animées s'engagent. Parfois, la liberté de ton des soviétiques géorgiens surprend. Ainsi ce membre d'une délégation universitaire raconte la dernière blague qui court à Tbilissi : « les Géorgiens sont comme les radis, rouges à l'extérieur et blancs à l'intérieur ».
Les années 1970Au début des années 1970, un groupe folklorique -« Merani »- se constitue sous l'égide d'Alexis Kobakhidzé pour la danse et d'Othar Pataridzé pour le chant. Il donne des concerts tant à Paris (Champs Elysées) qu'à l'étranger (Londres) et soude une jeunesse « géorgienne » née en France. S'y retrouvent Annick Homériki (Davrichewy), Catherine Tsitsichvili, Cécilia Roukhadzé, Christine Toullec, Darédjane Bérékachvili, Eliane Brichler, Irène Tsitsichvili, Kato Odichélidzé, Lia Vodé, Nelly Homériki (Tchavtchavadzé), Nina Homériki (Monestier), Salomé Zourabichvili, Thinathine Bérékachvili (Kéressélidzé), Thinathine Pataridzé (Kipiani) ainsi que Alexis Roukhadzé, Georges Kobakhidzé, Gogui Kéressélidzé, Gouram Assathiani, Guivi Méliava, Laurent Naskidachvili, Micha Méliava, Mérab Odichélidzé, Nicolas Tchavtchavadzé, Othar Zourabichvili, Zoltan Jordania. Voir :
Les échos des mouvements dissidents parviennent jusqu'à Paris : l'Association géorgienne essaie de les relayer, sans grands moyens. Le 6 août 1969, dix-huit juifs géorgiens écrivent aux Nations Unis afin de pouvoir quitter l'URSS : si la lettre obtient un écho important, l'émigration reste impossible. Les expatriations à partir du territoire géorgien vers l'Ouest restent exceptionnelles. En 1974, celle de l'orfèvre Goudji Amachoukéli. marié à une Française travaillant à l'ambassade de France à Moscou, est due à une intervention présidentielle. Voir :
Les archives du gouvernement géorgien en exil sont envoyées aux Etats-Unis à la Harvard University Library, à Cambridge, dans le Massachusset où elles sont microfilmées, et plusieurs copies sont constituées. Noé Tsintsadzé, secrétaire d'Etat du 3e gouvernement de la Ière République de Géorgie, en est la cheville ouvrière au sein d'un "Comité des archives". En 1978, Victor Homériki prend sa succession. En 1986, il fait déposer l'une d'entre elle à Nanterre à la BDIC (Bibliothèque de documentation internationale contemporaine) ; une autre copie est envoyée en Géorgie. Voir :
Les années 1980En mai 1980, de vives polémiques naissent lors de la tentative d'érection d'un monument aux morts dans le carré géorgien du cimetière communal de Leuville-sur-Orge, monument portant des symboles nationalistes géorgiens ambigus. En juin 1983, les autorités municipales opposent un refus catégorique. Voir :
La répression contre les dissidents continue en Géorgie. Un comité "Solidarité Géorgie" réunit des fonds en France et parvient à les faire parvenir clandestinement aux familles des dissidents emprisonnés, Ethery et Gogui Tsérétéli, Thamar Kinsky et Tariel Zourabichvili en sont à l'origine. Voir :
Grâce aux Organisations non gouvernementales internationales traitant au plus haut niveau du Kremlin, l'émigration de dissidents et de personnalités de confession juive est souvent réalisée avec des contreparties financières. Quelques personnalités parviennent à quitter l'URSS, comme le cinéaste Otar Iosséliani, ou le pianiste Irakly Avaliani qui prendra la nationalité française. Janri Kashia gagne la France en 1982. Voir :
L'Association géorgienne en France change de visage : aux chefs de file historiques disparus dans les années cinquante et aux générations nées en Géorgie, succèdent des descendants nés en France. Si les clivages ne sont plus les mêmes -obédience sociale démocrate d'un côté et obédience nationale démocrate de l'autre-, les facteurs de division ne manquent pas. La tradition veut qu'elles n'apparaissent pas trop à l'extérieur de l'association. Ainsi en 1984, une délégation d'émigrés géorgiens composée d'anciens combattants de toutes tendances, poursuivant une démarche amorcée durant les années 1960, ranime la flamme du soldat inconnu sous l'Arc de Triomphe à Paris. Voir :
Un article relatif aux minorités ethniques en Géorgie est publié dans le journal « Le Monde » : l'auteur, Thamaz Naskidachvili, impliqué dans l'association, déclenche un vif débat. Voir :
En avril 1989, les terribles évènements de Tbilissi conduisent à une vingtaine de morts et des centaines de blessés. Charles Takaichvili, en visite familiale dans la capitale géorgienne, en est le témoin et les rapporte à la télévision française. Des manifestations de soutien aux mouvements de contestation du régime soviétique sont organisées sur le territoire français. Thina Kéréssélidzé est l'une des plus actives dans le domaine. Voir :
En juin 1989, les statuts de l'Association géorgienne en France sont rénovés sous l'impulsion de son président Serge Méliava et d'autres acteurs. S'ils gardent la référence fondamentale aux valeurs du « 26 mai 1918 », ils s'ouvrent à un monde changé depuis. Voir :
Jusqu'à la chute du mur de Berlin, l'espoir de voir la Géorgie retrouver son indépendance est faible. Soixante-dix ans après leur départ, les anciennes générations sont francisées. Les jeunes générations sont françaises. Retour à Dossier : les émigrations géorgiennes vers la France au XXème et au XXIème siècles (2012). [ Accueil ] [ Retour à l'article ] [ Haut ] |
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